Une version en langage populaire de l'Évangile selon saint Jean, par Roger Gauthier, o.m.i.
par Roger Gauthier, o.m.i.
Un jour, je me suis demandé pourquoi je ne lis pas les Évangiles avec le même intérêt du cœur que je prends à lire certaines biographies de saints ou de grands personnages ? Bien sûr, le style est différent : les Évangiles étant construits comme un texte de catéchèse, l’accent est souvent mis sur le message annoncé par les paroles et par les gestes de Jésus plutôt que sur la personne de Jésus tandis que les biographies de saints polarisent l’attention sur la personnalité de qui ils racontent la vie.
Le petit catéchisme de mon enfance, la prédication dominicale et mes études théologiques, m’ont habitué à analyser le message des Évangiles en vue d’alimenter ma foi et de m’éclairer sur les exigences de Dieu dans ma vie quotidienne. C’était avant tout un exercice intellectuel. Si j’y engageais mon cœur, c’était pour me sensibiliser au fait que Jésus est mort pour moi et pour me faire comprendre mon devoir de l’aimer en retour. À vrai dire, je ne portais pas beaucoup d’attention à ce que Jésus vivait dans son cœur à lui pendant qu’il me parlait. Si je m’arrêtais sur une parole ou un geste de lui, c’était pour les ruminer dans ma tête afin d’y conformer ma vie. Il m’arrivait occasionnellement de « goûter Jésus »; mais j’y voyais une grâce exceptionnelle, malheureusement beaucoup trop rare.
Dernièrement, je me suis demandé quelle différence il y aurait si je lisais les paroles de Jésus en les recevant comme il les vivait dans son cœur. Pour cela, je devais pouvoir me référer à l’ensemble de sa personnalité. J’ai tenté l’expérience avec un passage de l’Évangile qui m’avait toujours laissé un peu mal à l’aise. Saint Marc raconte qu’un jour la famille de Jésus est venue le visiter alors qu’il prêchait à une foule importante. Quand on lui dit que sa mère et ses frères désirent le voir, Jésus répond ceci : « Qui sont ma mère et mes frères? Quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère, ma sœur, ma mère ». (Mc 3, 33) Cette réponse me laisse toujours une image gênante de Jésus : il ne semble donner aucune importance affective à sa famille et ne s’occuper que de prêcher sa doctrine. Je ne puis voir un Jésus qui n’inclurait pas son cœur dans son enseignement. - Pour m’aider à recevoir ce message offert par un Jésus qui le vit d’abord dans son cœur, j’ai reformulé ainsi sa réponse à qui lui signalait l’arrivée de sa famille: « L’Amour que je goûte en accueillant ma famille, je le vis aussi avec chacun de vous quand vous faites la volonté de Dieu : vous m’êtes, alors, qui une mère, qui un frère, qui une sœur. » Ce ne sont pas les mots de Marc que j’évoque là, mais n’est-ce pas le sens de l’événement qu’il voulait nous transmettre. En me centrant sur le vécu de Jésus ainsi compris, j’ai goûté la joie d’être un frère pour lui quand je m’accroche au dessein de Dieu sur moi. Faire la volonté de Dieu n’était plus pour moi un devoir prérequis pour être aimé de Jésus; mais la grâce assurée d’être aimé par lui comme un petit frère et le besoin de l’aimer, moi aussi, comme mon grand frère. - Depuis cette expérience, j’aime lire les Évangiles en impliquant mon cœur autant que ma tête : je me mets d’abord en présence de Jésus qui me parle avant d’analyser ce qu’il me dit.
Grâce à cet exercice aussi, j’ai mieux compris pourquoi nous avons quatre Évangiles pour présenter le même Jésus : n’est-ce pas, entre autres raisons, parce que chacun des auteurs avaient perçu Jésus, dans son cœur, avec des nuances diverses. Soit qu’il ait vécu avec lui, ou encore qu’il ait partagé les souvenirs de personnes qui l’avaient beaucoup aimé, chaque auteur a été frappé par des traits particuliers, selon sa propre sensibilité, son caractère et son histoire. Chacun a fait vivre Jésus sous nos yeux à partir d’une image inscrite au fond de lui; et cette image a donné sa couleur à ce qu’il a écrit. Oublier ces nuances ou les tourner en pure doctrine, n’est-ce pas affaiblir la révélation que Jésus a voulu nous offrir. Pour la saisir toute, le cœur doit être attentif à la personne de Jésus pendant qu’il l’écoute lui parler.
Désormais, quand je m’apprête à lire ou écouter un texte évangélique, je précise ce que je souhaite recevoir de l’Esprit :
ou bien une meilleure connaissance de la doctrine et de la morale de Jésus et, dans ce cas, je fais appel aux biblistes et aux théologiens pour éclairer ma foi avec la pensée exacte de Jésus;
ou bien je cherche une rencontre nouvelle avec la personne de Jésus telle que connue par tel évangéliste, en souhaitant que l’Esprit mette en mon cœur le besoin de vivre avec et comme lui. Dans ce cas, je procède de la façon suivante :
C’est à partir de ces convictions que j’ai cru utile de redire le texte de l’Évangile de saint Jean avec mes mots et mes intuitions d’aujourd’hui, tout en restant le plus fidèle possible à l’image de Jésus décrite par Jean, comme il la portait en son cœur. Voilà le sens du titre donné à ce texte : « JEAN M’A PARLÉ DE SON AMI, JÉSUS ».
Bien sûr que je ne propose pas cet écrit au même titre que le texte original de saint Jean : je ne prétends pas enseigner au nom du Saint Esprit. J’ai seulement essayé d’approcher Jésus avec mon cœur à l’aide de Jean, son disciple bien-aimé.
____________________________________ Roger Gauthier omi