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Cursillo > Histoire > II. Le virage du 7 janvier 1949

Témoignage de l'abbé Payeras

L'endroit du cursillo #1

facade du monastère San HonoratoEntrée de la chapelle du Monastère San Honorato, lieu du cursillo #1 en janvier 1949. Cinquante ans plus tard, une trentaine de cursillistes du MCFC s'y rendent en pèlerinage.

La chapelle. Le P.Nazaire Auger, c.j.m. préside la messe d'action de grâces

La salle des rollos. Le P. Loyola Gagné, s.s.s. en rappelle le contexte et divers aspects.

Plaque commémorative du 1er cursilloPlaque commémorative du cursillo #1, à l'entrée du Monastère

28.      Nous avons, sur cet événement, de longs témoignages. Il est bon de relire au complet celui de l'abbé Guillermo Payeras, qui fut l'un des trois animateurs spirituels qui se succédèrent durant la fin de semaine. Il nous fera revivre les émotions de cette première heure et nous ramènera aux sources de cette expérience à laquelle des millions de personnes se sont abreuvées depuis cinquante ans.

29.       «Le 12 décembre 1948, je reçus un appel du responsable diocésain de l'AC, en même temps secrétaire de l'évêque, l'abbé Sebastián Gayá, pour m'annoncer qu'il serait bon que je participe en tant qu'animateur spirituel, à une session de jeunes. Il me dit entre autres: «Prépare cinq causeries sur la grâce et une méditation pour chaque jour. Le premier soir de la session ce sera une courte retraite qu'animera l'abbé Juan Capó. Il conviendrait cependant que tu ailles le rencontrer ainsi que l'équipe de laïcs qui travailleront avec toi. Le recteur ce sera Eduardo Bonnín...» Il raccrocha.

De retour chez moi, je commençai immédiatement à consulter ma bibliothèque pour préparer ces fameuses causeries sur la grâce. Je trouvai quelques livres: Vivre d'Arami, Le jeune et le Christ de Mgr Tihamer Thot, La grâce et la gloire de Terrien. Je me mis à les lire.

L'abbé Juan Capó était l'un de mes grands amis. C'est lui — en tant qu'excellent théologien — qui m'aida à rédiger les schémas de ce qui deviendraient avec le temps les rollos mystiques (ainsi qu'on appellera les rollos donnés par les prêtres). Pour les méditations, je m'inspirai beaucoup de Mgr Thot.

L'équipe était fin prête... mais nous n'avions pas encore trouvé l'endroit pour faire la session. Or, un peu avant Noël, le frère d'Eduardo, Jorge — un jeune homme formidable — nous conduisit en auto (une Fiat Balilla) au monastère de St-Honoré. Dans l'auto avaient pris place, Jorge et Eduardo, l'abbé Juan Capó et moi. Eduardo et Juan étaient de connivence; Jorge et moi ignorions totalement ce qui se tramait.

Le monastère St-Honoré, à une trentaine de kilomètres de Palma, est situé sur la colline qui surplombe le village de Randa. Quand nous y sommes arrivés, tout était fermé. Il était plus de 20 heures. On sonna quand même. Après une longue attente, une voix de l'intérieur demanda qui nous étions. Après avoir rassuré cette personne sur notre identité, finalement elle consentit à nous ouvrir. Ayant pris connaissance de l'objet de notre visite, elle insinua que le mieux était de nous adresser au Général de cette congrégation — les Missionnaires des Sacrés-Coeurs — qui se trouvait justement dans la maison.

Après quelques minutes, le P. Munar (5) arrive, une chandelle à la main (le monastère n'a pas encore d'électricité). Nous nous assoyons et lui parlons de notre désir d'organiser une session dans ce monastère pour un groupe de jeunes. Le Général tenta de nous convaincre qu'il serait préférable de nous diriger au sanctuaire de Lluc, puisqu'à St-Honoré il n'y avait pas d'électricité et que la maison ne lui semblait pas adaptée pour ce genre d'activités. Innocemment — je vous ai dit que j'ignorais tout de leur plan — je donnai raison au P. Général, lorsque aussitôt je reçus un coup de pied, sous la table, ne sachant pas s'il venait d'Eduardo ou de l'abbé Capó. Ce que je sais c'est que c'était un bon coup de pied qui m'a fait mal longtemps. Seulement plus tard, j'appris qu'ils voulaient absolument tenir là la session, en pleine campagne isolée, pour éviter que les jeunes ne puissent s'échapper!?!

Ce ne fut qu'après une longue discussion avec le Général que nous sommes tombés d'accord. Nous n'étions pas au bout de nos peines: on mettait des chambres à notre disposition, mais... vides! Il nous fallut aller quêter des matelas au couvent des franciscains, sur le haut de la colline. Ils consentirent mais nous n'avions pas de transport. Qu'à cela ne tienne, l'équipe se prêta généreusement à les transporter tous sur leur dos, à flanc de montagne (celle-là même où le philosophe Raymond Llull avait rédigé ses écrits). Cela représentait plusieurs kilomètres aller- retour, et en plein hiver! (Rohloff, p. 44).

C'est ainsi qu'arriva la date historique du vendredi, 7 janvier 1949. Vers 16h00, nous partîmes en autocar tous ensemble, l'équipe et les jeunes: une trentaine de personnes. Nous avions préalablement distribué les sièges de façon à pouvoir créer dès le départ un climat d'amitié et de joie. Malheureusement, durant le voyage, nous avons vainement tenté d'animer la conversation ou de chanter; il semble que le moment n'était pas propice.

Une fois rendus à St-Honoré, nous avons distribué les chambres à chacun, puis les avons convoqués pour le premier rollo, donné tel que prévu par Juan Capó. Il était entre 18 et 19 heures. Ceux qui ont entendu l'abbé Capó connaissent la haute qualité de ses interventions, mais en plus,  rappelez-vous que ce soir-là, il arrivait tout frais de Rome et il était dans toute l'ardeur de sa jeunesse! Il donna un rollo qui enflamma son jeune auditoire. Tout de suite après, c'était le chemin de croix dirigé par Eduardo, puis le souper en silence et une autre méditation, suivie du chapelet, de la prière du soir dans le Guide du Pèlerin, et, enfin, du coucher. Nous venions de commencer, sans le savoir, ce qu'on appellerait plus tard, LE PREMIER CURSILLO DE L'HISTOIRE.

Le lendemain, l'abbé Capó devait retourner en ville. Je restai seul pour les autres jours. Je commençai donc par la méditation du matin: «Les trois regards», inspirée de Mgr Thot. Et, si je me rappelle bien, c'est après le déjeuner, au moment de rompre le silence, que nous avons entonné pour la première fois, le «De Colores», en ignorant bien sûr qu'il serait repris partout dans le monde et dans toutes les langues! (6).  On a dit que la popularité de ce chant à Majorque, venait du fait que le cinéma, à cette époque, venait de passer du noir et blanc au technicolor...

Réunis dans la salle de conférences, nous avons fait la distribution des tables avec leur président et leur secrétaire respectifs. Nous leur avons distribué du matériel pour les dessins, prendre des notes, etc. «Tout était sous contrôle», mais je dois avouer sincèrement que, même si j'étais l'animateur spirituel, j'ignorais absolument tout sur bien des points. Le seul à savoir où il allait était le recteur, Eduardo. Tout se déroulait tel que planifié tant au point de vue technique que spirituel, plus ou moins comme cela se passe encore de nos jours, cinquante ans plus tard. Le Christ nous donnait une grande leçon: Il continuait effectivement d'intéresser les jeunes et Il avait une parole à dire à nos contemporains.

Le dimanche après-midi eut lieu la clausura à laquelle il n’y avait point d’invités. Cependant, vinrent se joindre à nous, l'abbé Gayá pour donner le rollo final et Juan Mir. Ce fut une clausura vibrante, pleine de témoignages forts, durant laquelle Eduardo nous fit lecture d'une lettre de notre évêque, Mgr Hervás. Je me rappelle aussi qu'Eduardo (7) avait commenté ensuite cette phrase de l'Évangile: «Vous verrez de plus grandes choses encore!» Paroles prophétiques qui se sont réalisées à la lettre, car on ne pourra jamais évaluer, chiffrer, ni même soupçonner tout ce que le Mouvement des Cursillos a réalisé dans le monde entier. Dieu seul peut le faire. Aussi n'y a-t-il qu'un seul sentiment possible et juste qui doive maintenant s'élever de nos coeurs,  et c'est de dire: MERCI, SEIGNEUR!»
(Traduit de «Cursillos in Italia», # 102, 1992, p. 19-20)

30.      Ce merci de l'abbé Payeras était surtout justifié par une grâce extraordinaire obtenue par les premiers cursillistes du 10 janvier 1949. Voici le fait brièvement. Durant la fin de semaine, un candidat avait demandé de porter dans la prière un jeune ami qui se trouvait dans la prison de Palma, (appelée la prison des Capucins car elle se trouvait dans leur ancien monastère). Ce jeune, condamné à mort, demeurait totalement révolté et ne voulait pas voir l'aumônier. Les candidats écrivirent alors une lettre à ce prisonnier en l'assurant de leur préoccupation à son sujet et du soutien de leurs prières. Or, dans la nuit du 28 janvier, le jeune prisonnier répondit au groupe de cursillistes, quelques heures seulement avant son exécution. Il faut lire la lettre intégralement, car c'est un touchant témoignage sur la puissance de la palanca.

« Palma, 1h du matin, chers amis, pères et frères de mon âme.
Ces lignes que je vous écris sont les dernières que vous recevrez de moi. Je vous écris davantage avec le coeur qu'avec la plume. Je suis actuellement en chapelle (8). Je veux vous annoncer qu’il me reste peu de temps avant de quitter ce monde de misère et de larmes, mais Dieu peut me venir en aide dans sa grande miséricorde pour redresser mon âme et la préparer à une belle mort, après ma vie aventureuse, moi qui fus victime du milieu. Dieu est capable de me donner la force de reconnaître mes fautes et je lui demande l'unique grâce de mettre fin à ces fautes par une confession sincère qui m'ouvrira, peu à peu, les portes du ciel.

Je dois vous demander pardon pour les scandales que j'ai causés par mes crimes. Jamais comme en ce moment je ne me suis souvenu de vous tous avec plus d'amour, et je veux que ces dernières lignes que j'écris au dernier moment de ma  courte vie, servent à effacer toutes les mauvaises choses que j'ai faites et vous servent de souvenir pour vous encourager à vivre comme Dieu l'attend de ses plus fidèles serviteurs.
Je suis arrivé au terme de ma course. Merci au Seigneur de m'avoir donné ce temps extra pour guérir ma  vie passée et mourir comme un homme qui a la foi. Je suis entouré avec vous de personnes qui ont tenté d'alléger ma souffrance. C'est seulement la foi qui peut donner les forces nécessaires pour surmonter une si grande épreuve.
Si vous voulez connaître les détails de mes derniers moments, communiquez avec
l'aumônier. Soyez assurés, chers frères, que je monte au ciel pour aller prier pour vous tous. C'est là que je vous attendrai et c'est là que nous nous réunirons un jour pour être heureux éternellement. Sacré-Coeur de Jésus, j'ai confiance en Vous! Adieu.»

______________

(5) Ce même P. Munar est l’auteur d’une monographie sur la montagne des trois sanctuaires de Randa.
(6) Il sera interprété, à maintes reprises, dans la salle des audiences au Vatican, lors des Ultreyas nationales de l’Italie.
(7) L’abbé fait une erreur de mémoire, car c’est Sebastián Gayá qui fit ce commentaire.  À chacun son dû! (Note du traducteur).
(8) Cette expression espagnole veut dire que le prisonnier est sur le point d’être exécuté.

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