Paul est "saisi".
Pour représenter la conversion de Paul on fait appel souvent à une peinture qui met en scène un cavalier qui tombe en bas de son cheval. Cette scène théatrale risque de nous mettre sur une mauvaise piste pour comprendre ce qui s'est passé réellement sur le chemin de Damas.
On aurait tort d'imaginer Paul comme un guerrier fougeux qui se fait arrêter dans sa course effrénée par quelqu’un de plus fort que lui. On aurait tort de voir ce pharisien, qui s’acharnait contre les premiers disciples de Jésus, rencontrer son Waterloo, se cogner sur un mur, se faire mettre à sa place par un Dieu qui le terrasse par une lumière aveuglante et une voix autoritaire.
Rien de plus faux! Non seulement il n'est jamais question de cheval dans le récit de sa conversion (ni d'ailleurs dans aucun de ses voyages missionnaires), mais imaginer ainsi la scène risque de nous attacher à un décor extérieur fictif qui emprunte plus au Dieu de l’Ancien Testament qu’au Dieu révélé en Jésus Christ. Or l'essentiel c'est justement cela: c'est Jésus qui se manifeste à Paul.
La "conversion" de Saint Paul c'est d'abord une rencontre avec le Ressuscité. Or, peut-il y avoir une expérience plus suave qu'une rencontre où Jésus, qui n'est que bonté, douceur, miséricorde, prend l'initiative de se manifester? Quand Paul « tombe à la renverse », c'est une expérience profonde qui envahit tout son être; c’est non seulement physiquement mais davantage encore dans le sens figuré (on dit "tomber à la renverse" ou « tomber en bas de sa chaise » pour signifier un étonnement extraordinaire). Paul est tellement « saisi » par ce qui lui est révélé, qu’il n’en revient pas. Non, il n'est pas saisi par Dieu comme un enfant indiscipliné qu'un père sévère et impatient saisit par les épaules et secoue pour le mettre à sa place, bien au contraire! Paul est saisi dans le fond de son âme, dans son coeur et dans son intelligence, par ce Jésus venu nous révéler l'amour infini dont nous sommes l'objet. Paul découvre le mystère de ce Dieu-incarné, qui se met du côté du faible, qui s’identifie à chacun de nous. « Je suis celui que tu persécutes ». Il est renversé par l’amour miséricordieux et gratuit que Dieu lui porte, à lui « l’avorton », à un moment où rien ne l'y préparait. Il fait l'expérience d'être aimé par Dieu tel qu'il est. D'un amour aussi gratuit qu'infini.
La plus belle grâce qui peut nous arriver à chacun de nous c’est une telle rencontre.
Arrètons-nous un instant pour nous demander s'il n'y a pas déjà eu dans notre vie des moments de prévenance divine et de prise de conscience de l'amour inouï que Dieu nous porte? En quoi le "chemin de Damas" de Paul ressemble-t-il au nôtre?
Serge Séguin