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Évangélisation des milieux

Réflexion sur la mission du MC et de tout chrétien : témoigner de sa foi... particulièrement auprès des "loin de Dieu et de l'Église"!

AU PAYS DE
L'ÉVANGÉLISATION

par GILLES BARIL, prêtre
Animateur spirituel
national du MCFC
  1. Qui doit évangéliser?
  2. Comment demeurer crédible?
  3. Acteurs de l'évangélisation
    - les pauvres

Les principaux acteurs de l'évangélisation:

Les pauvres

 

pauvre couché sur le trottoirLes pauvres savent qu’ils ne sont pas importants pour personne : dévalorisation personnelle et collective, on leur parle par charité, mais avec une indifférence complète; « Qu’on crève ou pas, tout le monde s’en fout ». Chaque individu est considéré comme un "cas à problème". On les a rassemblés dans des camps de fortune où ils sont mieux que sur le trottoir : dans ces lieux, ils sont ensemble non par une histoire commune, non par choix de valeurs à vivre ou par liens familiaux. Ce qui les réunit, c’est leur similitude dans le malheur ou le fait de manquer de tout.

pauvre dans la rue, recourbéTout humain a son lot de souffrances et il demeure difficile de l’accepter.
On dit parfois des pauvres qu’ils sont habitués à leurs souffrances et qu’ils n’en souffrent plus. Comme si on pouvait s’habituer au malheur. À ceci, il faut ajouter encore que souvent la souffrance fait fuir les amis parce qu’ils se sentent impuissants à réconforter. C’est alors qu’arrive la rancœur, un désir de vengeance qui fait que les victimes rêvent parfois de devenir des bourreaux. Toute personne a besoin de se sentir aimée, comprise. Un homme humilié devient vite un homme violent.

Dans ce contexte, la foi en Dieu devient difficile, parfois impossible : quand personne ne croit en vous, que vous ne pouvez être sûr de personne, quand vous-même ne voyez dans vos faits et gestes que des résultats humiliants et des déceptions… comment croire, comment avoir confiance en quelqu’un ou en Quelqu’un? Peut-on croire en un Dieu qui est Celui de ceux qui vous regardent "de haut" avec indifférence? Peut-on croire en un Règne qui nous garde dans des conditions dépravées?

La misère fait souvent en sorte que ceux qui la subissent perdent toutes formes de dignité humaine, au point de se rejeter eux-mêmes en se croyant indigne d’amour. On ne sort jamais seul de la misère : pour la rendre supportable, on fabule ou si on a de la chance, on apprend la solidarité humaine.

 "La plus grande douleur des pauvres, c’est que personne n’a besoin de notre amitié"

La pauvreté est une école de miséricorde; il y a chez les pauvres comme chez toutes personnes humaines un besoin de donner. Les pauvres n’ont souvent que leur compassion à donner. Souvent c’est l’ignorance qui amène la misère. Les pauvres ont généralement la honte collée à la peau : leur premier besoin consiste à être reconnu et aimé.

Les couples se forment pour se consoler l’un l’autre de leur misère plutôt que pour espérer en un avenir meilleur. Parfois chacun est tellement prisonnier de ses déceptions, qu’il n’arrive pas à donner place à l’autre dans sa vie. Les parents ne possèdent pas la sécurité nécessaire pour élever sereinement des enfants.

Quand la femme devient enceinte, tout le monde se désole autour d’eux : « un autre qui va vivre dans la misère ». Le futur parent se nourrit d’espérance : « Pour lui, ça ne sera pas pareil. Ça va changer pour nous ». Puis la dure réalité les ramène à leur réelle condition de survie. Souvent les enfants qui vieillissent se disent : « Quand je serai grand, je gagnerai beaucoup d’argent pour que ma mère puisse enfin sourire et se reposer. »


« Une femme pauvre racontait sa vie en disant : « La plus grande douleur des pauvres, c’est que personne n’a besoin de notre amitié. On vient chez nous, on s’assoit sur le coin d’une chaise, on dépose de quoi survivre quelques jours et puis on va tranquillement sur la Côte d’Azur. Mais personne ne croit que nous les pauvres, nous avons quelque chose à donner. Nous sommes simplement un organisme qui bouffe. Si on nous donne à manger, on est quitte. Personne n’imagine que nous aussi, nous éprouvons le besoin de donner. Personne ne croit à notre dignité et c’est cela notre plus grande blessure. »
Cette femme considérait que la plus grande épreuve de sa vie, c’était le mépris de sa dignité en elle, ce mépris de ceux qui la secouraient et qui ne croyaient pas qu’elle était capable d’une amitié généreuse et gratuite. Elle réclamait donc ce pouvoir de donner, cette capacité de créer elle aussi une joie, un bonheur à une autre personne.
Et c’est cette même femme qui disait : « Comment voulez-vous que je prie et que je pense devant mes marmites vides avec cinq enfants à nourrir? »
Elle était donc tenaillée aux entrailles par la faim de ses enfants. C’est cette inquiétude et cette menace physique qui lui interdisaient la liberté de la prière et de la pensée. Que réclamait-elle? Elle réclamait un espace de sécurité qui lui permette un espace de générosité.
[Marc Donzé, Prier 15 jours avec Maurice Zundel #25, p. 47-52]


« La main qui donne
est toujours au-dessus de la main qui reçoit 
».
(Proverbe africain)

Les pauvres ne jugent pas les gens au nom de leur inégalité, mais au nom de leur sincérité. Ils attendent de ceux qui leur viennent en aide de la compréhension et du respect. Ils espèrent simplement qu’on leur permette de vivre un moment de bien-être. Parce qu’ils manquent de tout, ils abordent les gens et particulièrement les prêtres en venant les quêter. Mais leur plus grand besoin demeure celui d’être considéré comme un individu qui a quelque chose à offrir de lui-même.

« Quand croire qu’on est quelqu’un d’unique et d’important quand jamais personne ne nous demande rien? Nous connaissons des personnes qui sont blessées de n’avoir jamais été approchées pour faire partie d’un comité ou d’un conseil quelconque au niveau de leurs groupes d’appartenance. Elles peuvent nous paraître chatouilleuses, mais elles sont plutôt malheureuses. Elles se demandent, mais en vain la plupart du temps, ce qui leur manque pour qu’on ne fasse pas appel à elles et, bien entendu, elles craignent d’en demander la raison aux autres. Et si un jour, après qu’elles auront si longtemps attendu, quelqu’un se risque à leur demander un service, il ne faudra pas qu’il se surprenne de les entendre refuser en alléguant leur incompétence. Heureux qui s’obstine à demander… »
[Rita Gagné, Bergers demandés, p. 48]

Le besoin de se sentir aimé et reconnu demeure le plus fort. Peu importe nos conditions de vie, on est toujours prêt à "donner la lune" à ceux qu’on aime et de qui on se sent aimé. Parfois, il ne reste que la compassion, le temps et le silence. Mais c’est aussi là que se vit l’essentiel.


Le besoin de se sentir aimé
et reconnu
demeure le plus fort

Rappelons-nous en guise de conclusion une lettre que des défavorisés avaient écrite aux évêques du Québec : laquelle a été reproduite dans leur message pastoral du 1er mai 1993. On y lisait leur mal de vivre face aux préjugés, leurs efforts pour survivre avec leurs émotions ébranlées par les évènements pénibles de leurs vies, leurs mauvais rêves et ce qu’ils accumulent "en dedans" : leurs silences, leur méfiance, leur dépendance, les décisions qui se prennent à leur place… ils écrivaient :

«  Nous mentons, mais pouvons-nous faire autrement… il nous faut dire ce que les gens veulent entendre. On ne nous demande jamais notre avis; on nous impose ce que nous croyons le meilleur pour nous… » « Que l’Église ne cesse jamais de parler pour nous parce que notre parole à nous les pauvres, elle n’est pas crédible pour personne. »
Comme Église, nous nous devons de demeurer la "voix des sans voix", ce qui nécessite beaucoup d’écoute… particulièrement du non-verbal.

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Publié avec l'autorisation de l'auteur
Extrait de: Le quotidien de l'Évangile, Gilles Baril, prêtre, p. 97-101
Source des images:couché dans la rue; pauvre recourbé; mère-enfants;