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Si j’ai choisi de vous présenter cet animateur spirituel du MC en République Dominicaine, c’est que le P. Antonio est un véritable colosse, dans tous les sens du terme. Physiquement bien construit (il fait certainement les deux mètres), il jouit d’une excellente santé et peut abattre une besogne surhumaine. J’ai pu le constater de visu lors d’une visite effectuée à sa paroisse située dans un petit village perdu qui s’appelle ironiquement El Puerto (le port), alors que la mer est à cent kilomètres! Sans doute le nom est-il symbolique, car le curé est réellement en train de faire de cette paroisse un véritable port de salut pour tous ses habitants. Un extrait de mon journal de voyage vous en convaincra.
«Ce matin-là, je croyais faire la grasse matinée étant donné que le P. Antonio m'avait dit qu'il n'y avait pas de réveil officiel, qu'ici ce n'était pas un couvent, etc Mais il avait oublié de mentionner que les cloches de l'église sonnaient fidèlement dès 6h pour appeler les fidèles à la messe... et que le clocher était pratiquement au-dessus de ma fenêtre! Un clocher original fait avec deux rails du chemin de fer des bateyes (plantations de canne à sucre) dont nous reparlerons.
Je préside la messe de 6h30, précédée des Laudes. Dans l'assistance quelques laïcs et les religieuses du couvent. La chapelle est très belle et les linges très propres malgré la poussière énorme qui entre de toutes parts. Sur les murs, de belles peintures représentent les 15 mystères du Rosaire et, à l'arrière, les 7 sacrements: moyen extraordinaire de catéchèse visuelle.
Au déjeuner, une omelette et du pain doré: on se croirait dans une cabane à sucre. Le P. Antonio, avant de commencer son travail, me fait faire le tour du propriétaire. Il a tout construit: l'église dédiée à San Antonio de Padua, le bureau paroissial, très modeste (une table, deux chaises, un classeur et un ordinateur), une école, juste en face de l'église, et enfin, une construction plus imposante de 25 chambres à deux lits comme maison de retraites pour y donner des Cursillos (il y en a un prévu pour la semaine prochaine et les maçons sont encore à l'oeuvre!). Cette maison va porter le nom de Comunidad Santa Marta, parce que Marthe a été celle qui a travaillé pour accueillir Jésus dans sa maison. Et comme tout cela n'était pas suffisant, le P. Antonio a décidé non seulement de nourrir les âmes mais les corps: il a entrepris une vaste pisciculture en trois bassins différents et la construction d'une boulangerie suffisante pour tout le village. Comme le Christ, il veut multiplier les pains et les poissons. Et le village en a grandement besoin!
Aussi, le curé veut me faire connaître l'ampleur de la pauvreté sur cette île des Caraïbes visitée par des milliers de québécois chaque année mais qui ne vont jamais plus loin que les plages de rêves dont abondent le littoral. Nous partons en camion, car une auto ne pourrait pas passer par ces routes qui n'en sont pas et où les ponts brillent souvent par leur absence. Bien sûr, nous allons en croiser quelques-uns, qui ont été construits depuis belle lurette et qui restent là suspendus comme les jardins de Babylone, car les approches n'ont jamais été terminées. Entre temps, il faut passer à côté, dans l'eau tout simplement. En période de sécheresse (comme c'est le cas actuellement et j'en suis très heureux), c'est encore assez facile. Mais durant la période des pluies, c'est un grand exploit que de réussir à traverser sans rien perdre au passage, car l'eau peut monter jusque dans la cabine. Encore très heureux si le moteur ne s'étouffe pas au beau milieu de la rivière.
Le P. Antonio est responsable des 6 bateyes sur le territoire de sa paroisse. Ces sont autant de campements pour les travailleurs de la canne à sucre (on dit «un batey, des batéyès»). Vous savez que la canne est la ressource naturelle la plus importante de la République Dominicaine. Presque tout le territoire est occupé par cette monoculture. Heureusement, la terre ne semble pas s'épuiser et donne généreusement. Mais ceux qui la cueille ne sont pas aussi privilégiés. Les ouvriers de la canne à sucre d'où provient toute la richesse du pays sont excessivement mal payés. On ose même le mot exploitation. Quand ils partent le matin, on ne leur donne qu'une cruche d'eau (5 litres) qu'ils doivent transporter eux-mêmes toute la journée. Aucune nourriture. Ceux qui ne travaillent pas trop loin de leur famille pourront compter sur l'épouse qui leur apportera un plat pour le dîner. Les autres se contenteront de chiquer de la canne à sucre toute la journée en attendant de revenir au campement pour manger le soir. Et quel campement! Une salle commune absolument vide, sans toilettes, dans laquelle les ouvriers s'entasseront pour passer la nuit étendus sur le sol. Ceux qui ont de la famille, se retrouveront dans des cabanes à part où il y aura peut-être un lit et une table. Je suis entré dans quelques-unes. Toujours le même décor: d'abord la «cuisine», c'est-à-dire un coin de la pièce où quelques pierres par terre laissent brûler des bouts de bois sur lequel on fera cuire quelque chose....Les murs sont noirs de fumée, l'air est irrespirable. Dans une de ces cabanes, le mari est étendu sur le lit, malade, et on n'a pas voulu le recevoir à l'hôpital. La peur du sida.