Par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.
Et il advint ensuite qu'il se rendit dans une ville appelée Naïn. Ses disciples et une foule nombreuse faisaient route avec lui. Quand il fut près de la porte de la ville, voilà qu'on portait en terre un mort, un fils unique dont la mère était veuve; et il y avait avec elle une foule considérable de la ville. En la voyant, le Seigneur eut pitié d'elle et lui dit : «Ne pleure pas.» Puis, s'approchant, il toucha le cercueil, et les porteurs s'arrêtèrent. Et il dit : «Jeune homme, je te le dis, lève-toi.» Et le mort se dressa sur son séant et se mit à parler. Et il le remit à sa mère. Tous furent saisis de crainte, et ils glorifiaient Dieu en disant : «Un grand prophète s'est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple.» Et ce propos se répandit à son sujet dans la Judée entière et tout le pays d'alentour.
L’évangile d’aujourd’hui raconte la résurrection du fils de la veuve de Naïn. Nous retrouvons cet événement seulement dans saint Luc. Il est évident que dans la narration, se retrouve un aspect catéchétique et l’usage qu’en faisait les premières communautés chrétiennes.
Naïn existe toujours, au pied du mont Thabor, à 18 kilomètres au sud-est de Nazareth. Jésus se déplace, marchant à pied, suivi de gens, hommes et femmes, avides de sa parole et de ses miracles.
Luc, qui favorise toujours la femme, ne manque pas de souligner ces détails émouvants. Dans la Bible, les «veuves» sont le symbole même de cette catégorie des «pauvres» que Dieu protège de manière privilégiée. Ici, la détresse est à son comble. Cette femme a subi coup sur coup deux morts précoces : son mari et son fils. Or, en ce temps-là, la condition des femmes était spécialement difficile quand elles n'avaient ni mari, ni enfant mâle : le mari et le fils étaient les seuls qui constituaient sa protection juridique et l'assurance de ses ressources.
Dans le texte d’aujourd'hui, rayonnent plus que jamais la compassion et la tendresse de Jésus, si chères à saint Luc. Ce dernier continue à nous donner des exemples de miracles opérés par Jésus, mais celui-ci est tout à fait particulier, puisqu'il ne respond à aucune demande. Il a suffi à Jésus de voir passer le lamentable cortège d'une mère pleurant son enfant mort pour qu’il soit pris de pitié et que, presque malgré lui, la force de vie qu'il est se communique à cette mère éprouvée et son fils mort pour les faire entrer tous deux dans le mystère de renaissance...
Le «Jeune homme, je te l'ordonne, lève-toi» est sans réplique dans son extraordinaire sobriété. De même, la phrase laconique «il le remit à sa mère». La puissance de la Parole de Jésus apparaît ici dans toute sa majesté. C’est une parole créatrice, une parole de vie.
Toute la personne et toute la vie de Jésus de Nazareth nous révèlent ce paradoxe fantastique : Dieu se caractérise à la fois par sa puissance infinie et sa tendresse illimitée. Force et faiblesse de l'amour. Enlever au Dieu vivant l'une ou l'autre de ces deux caractéristiques, c'est se condamner à fabriquer une idole à la mesure de l'homme. «Mes pensées ne sont pas vos pensées...» (Is 55, 8).
Luc nous montre que si Jésus est bien dans la lignée des prophètes, il les dépasse infiniment. On comprend que Luc ait placé cet épisode juste avant de rapporter la question de Jean Baptiste : «Es-tu celui qui doit venir...?» (Lc 7, 19). Jésus peut alors donner à Jean les signes des temps nouveaux : «Allez rapporter à Jean tout ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient..., les morts ressuscitent...» (Lc 7, 22).
Jésus lui-même déclare, lors de la résurrection de son ami Lazare : «Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra.» (Jean 11, 25-26).
Ce miracle est d’abord une révélation de l’identité de Jésus, de son mystère profond de fils de Dieu, Messie et Sauveur de l’humanité.
Il conviendrait de relire l'Évangile de ce jour en parallèle avec le texte de la guérison du serviteur du centurion romain. Les deux passages se suivent et l'évangéliste Luc a opté pour le rapprochement de ces deux récits, sans doute pour nous aider à contempler le mystère de Jésus sauveur. Un homme païen et son serviteur malade, une femme juive et son fils déjà mort... Une demande exprimée dans la confiance et la marche d'une foule accompagnant une veuve dans la souffrance. Chemin faisant, Jésus rencontre une fois de plus la misère d'un peuple... Il s'agit maintenant de l'épreuve de la mort.
En introduisant le texte d’aujourd’hui, Luc attire notre attention sur un double mouvement : deux foules se croisent. La première, joyeuse et enthousiaste, entoure Jésus et ses disciples qui entrent dans Naïn. La seconde sort de la ville pour enterrer un mort. L'une est centrée sur Jésus, l'autre sur la mort d'un jeune homme. Dans le deuxième groupe, c'est la souffrance d'une veuve qui préside au cortège, cette veuve n'avait qu'un fils et il est mort.
Nous nous trouvons ici devant un message essentiel de notre foi : c'est le Seigneur lui-même qui prend l'initiative de notre résurrection : «Je suis la résurrection et la vie».
Les premiers chrétiens voyaient dans cet événement un message d’espérance pour chacun d’eux : nous pouvons avoir une foi vacillante, une période de découragement, mais dans notre monde, il existe une force nouvelle, qui redonne vie à chacun de nous.
L’incroyant est celui qui affirme que Dieu ne peut le transformer, qui affirme qu’il ne peut plus changer parce qu’il est trop vieux, que maintenant, il est trop tard. Le véritable incroyant est celui qui nie l’infinie puissance de la grâce. Une seule parole du Christ suffit pour faire revivre ce qui était mort. Le message d’espérance de notre foi est que notre Dieu est un Dieu de vie et non de mort. (Lc 20, 38)
La plupart des grandes religions se sont construites sur l'idée d'un Dieu impassible, grandiose, lointain! Notre Dieu n’est pas le «dieu grec de l'Olympe» qui regarde de très loin la terre. Israël, déjà dans l'Ancien Testament, avait reçu la révélation d'un Dieu proche, maternel, familier !
Et c'est bien ce Dieu-là qui se révèle de façon définitive en Jésus, un Dieu vulnérable, humain, capable de s'émouvoir devant nos détresses : «En la voyant la mère du jeune homme, le Seigneur fut saisi de pitié pour elle.»
«Les larmes de la veuve ne coulent-elles pas sur les joues de Dieu ?», disait Ben Sirac le Sage (Si 35, 18). Les assistants ne s'y sont pas trompés : saisis de cette crainte qu'inspire la Présence de Dieu - «La crainte s'empara de tous, et ils rendaient gloire à Dieu» -, ils disaient : «Un grand prophète s'est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple.»