Par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.
Jésus s’était rendu au mont des Oliviers; de bon matin, il retourna au temple de Jérusalem. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner.
Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en train de commettre l’adultère. Ils la font avancer, et disent à Jésus : «Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu?»
Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il traçait des traits sur le sol. Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : «Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre.» Et il se baissa de nouveau pour tracer des traits sur le sol. Quant à eux, sur cette réponse, ils s’en allèrent l’un après l’autre, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme en face de lui.
Il se redressa et lui demanda : «Femme, où sont-ils donc? Alors, personne ne t’a condamnée?» Elle répondit : «Personne, Seigneur.» Et Jésus lui dit : «Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus.»
Simone Weil disait : «L’une des vérités fondamentales du christianisme est que c’est le regard qui nous sauve».
Une conversion de Carême devrait commencer par un regard nouveau. Nous avons vite fait de juger les autres et de les cataloguer! L’évangile d’aujourd’hui, avec le regard que Jésus porte sur la femme condamnée par ses accusateurs, nous invite à purifier le regard que nous portons sur les gens qui nous entourent.
Jésus voit cette femme, comme il a vu Zachée, le lépreux, Marie Madeleine, la Samaritaine, Pierre après son reniement, le bon larron. Il regarde les gens avec tendresse et refuse de les juger. Son regard sauve et redonne vie. Ce ne sont ni les pierres lancées, ni la démolition de caractère, ni la boue qui ternit la réputation qui peut changer l’attitude et le comportement d’une personne. Seul un regard plein d’amour peut le faire.
Jusqu’ici, la femme adultère ne connaissait que deux sortes de regards : un regard de désir sexuel que les hommes portaient sur elle et un regard meurtrier de haine et de condamnation. Jésus la regarde avec respect, bonté et compréhension. Il ne pointe pas vers elle un doigt accusateur. Jésus ne nie pas le péché de cette femme mais il ne la condamne pas. Il la relève, la remet debout, lui rend sa dignité de personne humaine. Il l’invite à oublier son passé et à commencer une vie nouvelle.
Ce texte est une illustration concrète de l’attitude de Dieu face au pécheur. Il ne s’agit pas de péché en général, de pécheurs pris globalement, mais d’une pauvre pécheresse que Jésus rencontre et protège contre la méchanceté des gens. Ce n’est pas un récit sur l’adultère, mais une révélation de Jésus et du regard qu’il pose sur cette femme condamnée à être lapidée.
Sur celui ou celle dont nous disons: «j’ai tout essayé... c’est fini... Il n’y a rien à faire...», Jésus jette un regard neuf, qui fait jaillir un coeur nouveau. «Mon fils que voilà était mort, et le voici revenu à la vie.»
La miséricorde est féconde, elle recrée, elle ouvre la voie à un avenir d’espérance. Comme le dit le prophète Isaïe dans la première lecture : «Ne vous souvenez plus d’autrefois, ne songez plus au passé. Voici que je fais un monde nouveau» (Is 43, 18). Jésus a sauvé cette femme en lui révélant le visage de bonté et de miséricorde de Dieu. Le pardon la libère de son passé. Jésus ne mentionne même pas son péché. Il ne s’intéresse qu’à son avenir : «Va et désormais ne pèche plus».
Tout en posant sur la femme un regard de tendresse, le Seigneur enlève le masque du visage de ses accusateurs. Il est facile d’hurler avec les loups et de massacrer l’adversaire lorsqu’on est membre d’une foule déchainée et en furie! Jésus les fait sortir du cercle meurtrier, de l’anonymat et de la complicité du groupe, en les renvoyant à leur propre conscience. Il les oblige à s’éloigner de la foule meurtrière, toujours prête à lapider et à lyncher. Il les invite à regarder au-dedans d’eux-mêmes et non plus vers cette femme qu’ils utilisent pour accuser Jésus. Ces hommes prêts à lapider à mort étaient convaincus d’être des autorités qui avaient le devoir de juger les autres, mais ils oubliaient de se juger eux-mêmes.
Jésus non seulement déstabilise leur auréole de sainteté, mais il les oblige à laisser tomber les pierres de leurs mains, et à baisser leur doigt accusateur. Il soulève le couvercle de leur conscience, pour montrer que ce qu’il y a à l’intérieur n’est pas très joli et ne sent pas très bon. «Vous voulez enlever la paille dans les yeux de votre voisin et vous ne voyez pas la poutre dans le vôtre». (Luc 6, 42)
En se remettant à dessiner, sans regarder personne, Jésus les laisse se juger eux-mêmes, sans se sentir accusés ou montrés du doigt. De fait, profitant de l’inattention du Seigneur, ils se retirent les uns après les autres. Et l’évangile ajoute avec humour : «Ils s’éloignèrent les uns après les autres, en commençant par les plus vieux!»
Cet évangile de la femme adultère contient un message pour chacun de nous : Là où une personne est lapidée, où on lance des pierres meurtrières, où l’on noircit sa réputation par des mensonges et des insinuations malveillantes, des médisances et des calomnies, Jésus m’invite à me retirer, à ne pas faire partie de la meute qui hurle.
Nous croyons que le monde sera meilleur si les autres changent. Le Christ nous dit ce matin que le monde sera meilleur si nous commençons par changer nous-mêmes!
Avec Dieu, nous ne sommes jamais étiquetés, mis de côté, condamnés, considérés comme irrécupérables. Il pose sur nous un regard plein de tendresse et nous dit : «Moi non plus je ne te condamne pas… va et ne pèche plus».
Source des photos: Méditation, par Rembrandt, Musée du Louvre.;