Par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.
«Après son baptême, Jésus, rempli de l'Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain; il fut conduit par l'Esprit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut mis à l'épreuve par le démon.
Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim. Le démon lui dit alors: «Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain.» Jésus répondit: «Il est écrit: Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre.»
Le démon l'emmena alors plus haut, et lui fit voir d'un seul regard tous les royaumes de la terre. Il lui dit: «Je te donnerai tout ce pouvoir, et la gloire de ces royaumes, car cela m'appartient et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela.» Jésus lui répondit: «Il est écrit: Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c'est lui seul que tu adoreras.»
Puis le démon le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit: «Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas; car il est écrit: Il donnera pour toi à ses anges l'ordre de te garder; et encore: Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre.» Jésus répondit: «II est dit: Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu.»
Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentation, le démon s'éloigna de Jésus jusqu'au moment fixé.»
J’ai vu quelque part une courte série de caricatures sur le sens de la vie. La première représentait un homme devant une peinture abstraite. Il se moquait de cette toile en demandant : «qu’est-ce qu’elle peut bien représenter?» Dans la seconde, on voyait une main qui sortait de la toile, avec un doigt pointant vers l’homme qui riait. Dans la troisième, la toile avec la main et le doigt accusateur demandait : «Et toi, qu’est-ce que tu représentes?»
Le carême est ce temps de l’année où, à l’ombre de la croix, nous nous demandons : «qu’est-ce que je représente? Quel est le sens de ma vie? Quelle relation est-ce que j’entretiens avec le monde autour de moi?»
Nous sommes invités à redimensionner notre relation avec Dieu (la prière), avec les autres (le partage et l’aumône) et avec nous-mêmes (le jeûne). J’aimerais aujourd’hui mettre l’accent sur le jeûne.
Nous sommes excessifs en tout : nourriture, achats, voyages, divertissements... Sur le plan santé, les revues médicales nous informent que plus de 30% de nos populations souffrent d’obésité. Suite à ce phénomène de sur-poids, jamais on a autant parlé de diète, de restriction, de jeûne : diète sans sel, diète liquide, diète végétarienne, diète sans gras, diète aux céréales… Par contre, le jeûne volontaire pour raisons religieuses a complètement disparu de notre christianisme occidental.
À travers les siècles, la plupart des grandes religions ont invité leurs membres à pratiquer le jeûne volontaire. Notre civilisation contemporaine est sans doute la seule, dans l’histoire, à renoncer à cette expérience religieuse universelle. Il faut jouir, dit-on. Pourquoi se priver?
En agissant ainsi, croyons-nous vraiment avoir amélioré la qualité de notre vie? Quand une personne se «laisse aller» et ne peut contrôler ses appétits, elle risque bien de perdre quelque chose d’essentiel, la «maîtrise d’elle-même», et devient alors esclave de ses instincts les plus élémentaires.
Lorsque Jésus parle de jeûne, il ne s’agit pas de perte de poids, de vêtements trop petits et ventres trop ronds. Il y a des raisons plus sérieuses pour jeûner. Quand tout va bien, que Dieu est présent dans nos vies, qu’il y a plein d’amour et de joie, nous n’avons pas besoin de jeûner. Le Christ disait aux Pharisiens que ses apôtres n’avaient pas à jeûner «aussi longtemps que l’époux était avec eux».
Par contre, il est bon de jeûner lorsque le monde ne tourne pas rond, lorsque nous ne vivons pas l’idéal auquel le Christ nous a appellé :
- lorsque nous remplaçons Dieu par nos veaux d’or, nos dogmes économiques, nos égoïsmes nationaux;
- lorsque les conflits familiaux conduisent à la violence, à la haine, à la rupture et que les enfants en souffrent;
- lorsque les jeunes sont privés d’éducation chrétienne;
- lorsque l’on refuse le pardon à ceux et celles qui nous ont offensés;
- lorsque le taux de suicides est plus élevé chez-nous que dans d’autres pays du monde;
- lorsque des millions de personnes âgées souffrent de solitude et d’abandon.
Le jeûne peut prendre plusieurs visages et plusieurs formes :
- il y a bien sûr le jeûne de nourriture...un peu tous les jours, ou deux ou trois fois par semaine;
- le jeûne de télévision, de magasinage inutile, de loisirs extravagants;
- le jeûne qui nous aide à partager financièrement avec ceux qui vivent dans la misère;
- le jeûne qui nous invite à faire du bénévolat, à faire notre part pour la communauté à laquelle nous appartenons.
Le jeûne dont parle le Seigneur est un appel à la conversion. Il nous aide à revenir vers Dieu en essayant de répondre aux promesses de notre baptême.
Le Carême que nous célébrons chaque année et qui nous prépare aux joies de la fête de Pâques, n’est pas un don que nous faisons à Dieu, c’est un don que Dieu nous fait. Le Christ nous rappelle qu’il est temps, à l’écoute de sa parole, de renouveler notre vie de tous les jours, de recevoir un coeur nouveau, une mentalité nouvelle.
Le jeûne, la prière et le partage nous aident à trouver les vraies valeurs de la vie et à nous rapprocher de Dieu et des autres.