Par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.
Comme les disciples s’étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait : «Si vous voulez vivre comme des justes, évitez d’agir devant les hommes pour vous faire remarquer. Autrement, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
«Ainsi, quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner de la trompette devant toi, comme ceux qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont touché leur récompense. Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret; ton Père voit ce que tu fais en secret : il te le revaudra.
«Et quand vous priez, ne soyez pas comme ceux qui se donnent en spectacle : quand ils font leurs prières, ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et les carrefours pour bien se montrer aux hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont touché leur récompense. Mais toi, quand tu pries, retire-toi au fond de ta maison, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret; ton Père voit ce que tu fais en secret : il te le revaudra.
«Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme ceux qui se donnent en spectacle : ils se composent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare: ils ont touché leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent dans le secret; ton Père voit ce que tu fais en secret : il te le revaudra.»
Le carême en tant que période intense de préparation à la grande fête de Pâques remonte au 4e siècle. Il visait alors deux objectifs :
- préparer les nouveaux chrétiens à recevoir le baptême pendant la nuit pascale;
- et permettre aux autres chrétiens de renouveler leurs promesses de baptême et leur alliance avec Dieu.
Ce n’est qu’aux 8e et 9e siècles que l’imposition des cendres est apparue dans la liturgie et elle était une expression de pénitence publique. Les chrétiens se reconnaissaient pécheurs et ils étaient alors «expulsés de l’église», geste symbolique qui reprenait celui de Dieu qui chassait Adam et Ève du paradis, après leur refus d’une alliance avec lui. (Genèse ch. 3). Après une période de prière, de jeûne et de partage, après un temps de conversion, les chrétiens étaient «réintégrés» à leur Église, le soir du Samedi saint.
Au Moyen Âge, l’imposition des cendres a développé un sens nouveau qui soulignait la fragilité humaine et la brièveté de la vie : «Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière.» Le symbole était lié à la mort et à la tombe. C’est ce sens de fragilité humaine que nous retenons aujourd’hui.
J’aimerais revenir sur le symbole du 4e siècle qui reste encore valable aujourd’hui. Adam et Ève représentent l’être humain qui refuse le dialogue avec Dieu et qui s’éloigne de lui. «L’être humain» s’oppose à Dieu et lui tourne le dos, comme le fera l’enfant prodigue dans la parabole de l’évangile. Cependant, dans cet itinéraire d’éloignement, il existe toujours la possibilité du retour aux origines. Nous sommes invités à revenir vers Dieu qui nous ouvre les bras. Les trois piliers de la spiritualité juive : la prière, le jeûne et l’aumône, nous aideront à préparer ce retour.
Les Juifs du temps de Jésus priaient trois fois par jour : à 9h, à midi et à 15h. Plusieurs le font encore aujourd’hui. La prière faisait partie de la vie quotidienne. Elle permettait d’être en contact régulier avec Dieu et de découvrir sa volonté. À travers les nombreuses activités, on recherchait des moments de réflexion et de prières. La période du carême nous invite à redécouvrir cette habitude enrichissante.
Comme la prière, le jeûne tient une place de choix dans les spiritualités juive et chrétienne, non pas pour nous faire perdre quelques kilos, mais pour nous libérer de l’instinct de posséder et d’accumuler inutilement, que nous sommes venus au monde nus et que nous le quitterons nus. De plus, le jeûne nous invite à la solidarité. Comme nous le souligne la Bible, «le jeûne que le Seigneur préfère, c’est de partager son pain avec l’affamé, d’aider ceux qui sont dans la misère, et de vêtir ceux qui n’ont pas de vêtements.» (Isaïe 58, 7)
Il existe différentes sortes de jeûnes : non seulement celui de la nourriture, mais le jeûne de télévision, d’alcool, de magasinage inutile, de travail excessif, etc.
L’aumône, troisième pilier de la spiritualité, était pour les Juifs une façon d’imiter la générosité de Dieu, particulièrement envers les plus démunis. Comme le dit S. Matthieu dans son évangile, nous serons jugés sur le partage de nos biens, de notre temps, de nos talents : «J’avais faim, vous m’avez donné à manger..., j’étais nu, vous m’avez vêtu…, j’étais malade, vous êtes venus me visiter…» (Matthieu ch. 25) Dans cet esprit d’aumône, nous pouvons donner non seulement de l’argent, mais aussi ce que nous avons de plus précieux : l’amour, la compassion, la compréhension et le pardon.
La période du carême est un temps idéal pour alimenter notre foi à la source de ces trois piliers de la spiritualité : la prière, le jeûne et l’aumône. Ces semaines de préparation à la fête de Pâques nous rappelle que nous sommes «créés à l’image de Dieu», et que «nous ne vivons non seulement de pain, mais de toute parole qui sort de sa bouche».
Dans l’histoire de l’Église, le carême est présenté comme un nouveau printemps, comme un temps de renouvellement. Ce n’est pas une période de tristesse mais un temps de joie profonde parce que nous sommes accueillis, pardonnés et aimés de Dieu. Le carême nous redonne l’espérance qui parfois semble étouffée par les maladies et les malheurs de toutes sortes. Nous sommes invités à redécouvrir Dieu dans nos vies. Le carême, c’est le printemps de Dieu.
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Source du dessin: Le Blogue Sel + Lumière