Par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.
«Je vous le dis, à vous qui m'écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À celui qui te frappe sur une joue, présente l'autre; à qui te prend ton manteau, laisse prendre aussi ta tunique. Donne à quiconque te demande, et ne réclame pas à celui qui te vole. Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux.
«Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre ? Même les pécheurs en font autant. Si vous prêtez quand vous êtes sûrs qu’on vous rendra, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre ? Même des pécheurs prêtent aux pécheurs afin qu’on leur rende l’équivalent.
Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils et les filles du Très-Haut, car il est bon, Lui, pour les ingrats et les méchants.
«Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés; pardonnez, et il vous serez pardonnés. Donnez, et vous recevrez, une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versé dans votre tablier; car de la mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous.»
L’évangile d’aujourd’hui nous présente une très belle image de notre Dieu, un Dieu plein de miséricorde, de tendresse, de pardon. Jésus nous a révélé ce visage du Père, qui n’a pas envoyé son fils pour juger le monde mais pour le sauver. Il a offert son pardon à Marie Madeleine, Zachée, la femme adultère, au fils prodigue, à la Samaritaine, l’apôtre Pierre, le voleur sur la croix, les ouvriers de la dernière heure, ceux qui l’ont condamné à mort.
En conclusion de cette révélation extraordinaire, il nous invite aujourd’hui à agir comme Dieu lui-même : «Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux.»
Ce qui caractérise la morale chrétienne ce n'est pas «d'aimer», car toutes les morales humaines demandent cela, mais d'aimer aussi "nos ennemis". Il s'agit d'un amour universel qui n'exclut personne. Nous savons très bien que, nous les chrétiens, nous ne sommes pas meilleurs que les autres. Pourtant Jésus nous demande d'être différents des autres et "d'aimer ceux qui ne nous aiment pas"
Notre première réaction à cette page d’évangile est peut-être de dire : «Mais moi, je n’ai pas d’ennemis». En réalité, il y a plein de gens qui me tapent sur les nerfs, qui m’agacent, ne pensent pas comme moi, ont une façon différente de s’habiller, de se divertir, de faire les choses. Ensuite, il y a le monde de la politique qui divise même les membres de nos familles. Il y a aussi ceux qui ne sont pas de ma nationalité, de ma classe sociale, de ma culture, de ma religion, de mon club préféré. Jésus me demande d'aimer ceux qui me critiquent, qui ne sont pas d'accord avec moi. Il est important de ne jamais accepter qu’une situation de confrontation et parfois de haine soit définitive.
Les résultats d’un comportement contraire à cette éthique évangélique se voient tous les jours dans les guerres qui n’en finissent plus de répandre le sang de millions d’innocentes victimes. A la fin d'un film, je me souviens de cette remarque de l'acteur principal qui disait: «A 300 mètres de distances, l'ennemi n'est qu'une cible... à 3 mètres, c'est un homme, une femme, un enfant qui tremble de peur.»
Il est triste de voir certains pilotes d’avions et d’hélicoptères qui crient avec enthousiasme : «Bingo !» lorsque leurs roquettes atteignent la cible, ou encore les partisans du terrorisme qui se réjouissent de l'effondrement des tours du World Trade Center de New York. Sous la croix du Christ, l'ennemi n'est plus une personne à abattre... il devient notre prochain qui se retrouve à 3 mètres de nous... il devient alors un frère ou une soeur de sang.
Dans la parabole du Bon Samaritain, Jésus nous dit d’aimer notre prochain mais il ne donne pas la condition sociale de l'homme blessé, ni sa nationalité, ni sa religion... il ne révèle pas son parti politique, sa classe sociale, la couleur de sa peau,. La miséricorde et la tendresse doivent s’adresser à tous ceux dans le besoin, amis et ennemis.
Pour agir comme fils et filles de Dieu, le Seigneur nous promet un coeur nouveau: «Je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j'ôterai votre coeur de pierre et je vous donnerai un coeur de chair.» (Ez 36,26-28).
Je termine cette réflexion avec le bel exemple que les Amish, aux États-Unis, nous ont donné il y a quelques mois. Un déséquilibré avait séquestré plusieurs jeunes dans l’école du village. Quelques heures plus tard il tua cinq fillettes, avant de s’enlever la vie. Après cette terrible aventure, les Amish ont démoli l’école afin d’effacer les traces des mauvais souvenirs mais ils ont pardonné au meurtrier son geste dévastateur et ont invité la femme du coupable afin de la consoler et de l’aider dans sa détresse. C’est ainsi que l’on brise le cercle mortel de la violence.
Relisons tout doucement le psaume de la messe de ce jour qui devrait provoquer notre admiration et nous inviter à l'imitation de notre Dieu : « Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d'amour : il n'agit pas envers nous selon nos fautes et ne nous rend pas selon nos offenses. »