Par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.
Toute la journée, Jésus avait parlé à la foule en paraboles. Le soir venu, il dit à ses disciples: «Passons sur l’autre rive.» Quittant la foule, ils emmènent Jésus dans la barque, comme il était; et d’autres barques le suivaient.
Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait d’eau. Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Ses compagnons le réveillent et lui crient: «Maître, nous sommes perdus; cela ne te fait rien?» Réveillé, il interpelle le vent avec vivacité et dit à la mer: «Silence, tais-toi!» Le vent tomba, et il se fit un grand calme.
Jésus leur dit: «Pourquoi avoir peur? Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi?» Saisis d’une grande crainte, ils se disaient entre eux: «Qui est-il donc, pour que même le vent et la mer lui obéissent?»
Depuis toujours, la tradition chrétienne a vu dans cette barque ballottée par la tempête, une image de l’Église. Siècle après siècle, elle se retrouve dans la tourmente. Au cours du siècle dernier, elle a été secouée par l’industrialisation, la révolution sociale, la naissance des médias de communication, le communisme athée, le capitalisme sauvage, la civilisation urbaine, la sécularisation, la post-modernité.
Actuellement, notre Église est de nouveau en pleine crise. Le scandale des prêtres et des religieux pédophiles, les luttes internes au Vatican, les dissensions et les désaccords concernant les problèmes sociaux. L’assistance à la messe du dimanche diminue, les églises se vendent, les prêtres ne suffisent plus, la foi n’est plus transmise d’une génération à l’autre.
Beaucoup de gens croient que nous ne pourrons résister à cette crise et que ce sera la dernière. Mais le Christ a promis d’accompagner son Église jusqu’à la fin des temps. Elle traversera donc cette tempête comme elle en a traversé des dizaines d’autres à travers les siècles. Elle réussira à passer à travers les bourrasques parce que le Christ est dans la barque et fait parti du voyage.
Ceci peut sembler contradictoire, mais la tempête actuelle peut être une grâce spéciale pour notre Église. Nous savons que les eaux stagnantes sont beaucoup plus dangereuses que celles qui sont en mouvement constant. Les eaux immobiles sont porteuses de germes de mort, tandis que les vagues de tempête purifient et redonnent force à l’environnement. Nous avons connu, pendant longtemps, un monde religieux presque immobile, figé dans ses normes, ses traditions, sa mentalité, dans un état de léthargie pénible et de moins en moins capable de comprendre le monde contemporain et d’être le levain d’une époque en changement. Nous savons maintenant que ce calme plat était précurseur de grands orages.
Vatican II, sous le souffle de l’Esprit, a fait comprendre à notre Église qu’elle doit accepter de voguer sur la mer du monde et non à côté d’elle, dans une sorte de tranquillité qui n’avait plus rien d’évangélique. Agités en tous sens, à la merci de tempêtes nombreuses, nous ne devons cependant pas nous étonner d’être troublés et déconcertés par ce qui arrive aujourd’hui.
Dieu semble parfois dormir au milieu de ce monde plein de changements. Nous avons l’impression qu’aucune barrière ne retient l’immoralité, la corruption et la cupidité. La famille éclate, le mariage est disloqué. L’abus de pouvoir, la corruption, la drogue, l’érotisme et la violence dominent les bulletins d’informations! Malgré tout cela, Jésus nous répète : «N’ayez pas peur!»
Sur le plan personnel, comme sur le plan de l’Église, notre vie est une traversée secouée par de nombreuses tempêtes : le médecin vous informe que vous avez le cancer. Votre femme vous dit qu’elle rencontre un autre homme. Vous apprenez que votre mari a trouvé une femme plus jeune et qu’il va l’épouser. La police vient vous avertir que votre fils est accusé de vente de stupéfiants. Votre employeur ferme l’usine où vous travaillez pour en ouvrir une en Chine… Et voilà que notre monde de sécurités bascule et notre vie s’effondre comme un château de cartes.
Nous faisons parfois face à un désarroi incontrôlable : maladies, accidents, deuils, insécurité, violence, révoltes, guerres, pollution, crises économiques, vieillesse. Le Christ nous dit ce matin : «Hommes de peu de foi, pourquoi craignez-vous?» Il nous invite à l’espérance, malgré toutes les difficultés auxquelles nous avons à faire face. Il nous invite à chercher un paysage nouveau : «Passons sur l’autre rive»! Abandonnons notre territoire familier pour nous diriger vers des endroits plus sereins que nous ne connaissons pas.
L’évangile nous rappelle que, malgré le chaos et le temps orageux, nous pouvons être en paix et garder notre sérénité, aussi longtemps que le Christ est avec nous… même s’il semble dormir.
Le chrétien est celui ou celle qui invite le Christ dans son embarcation. Aussi longtemps qu’il est présent, les tempêtes les plus fortes ne peuvent nous faire chavirer : «Pourquoi avez-vous peur? Je suis avec vous. Ayez confiance.»