Par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.
Le premier jour de la fête des pains sans levain, où l’on immolait l’agneau pascal, les disciples de Jésus lui disent: «Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour ton repas pascal?» II envoie deux disciples: «Allez à la ville; vous y rencontrerez un homme portant une cruche d’eau. Suivez-le. Et là où il entrera, dites au propriétaire: <Le maître te fait dire: Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples?> Il vous montrera, à l’étage, une grande pièce toute prête pour un repas. Faites-y pour nous les préparatifs.» Les disciples partirent, allèrent en ville; tout se passa comme Jésus le leur avait dit; et ils préparèrent la Pâque.
Pendant le repas, Jésus prit du pain, prononça la bénédiction, le rompit, et le leur donna, en disant: «Prenez, ceci est mon corps.» Puis, prenant une coupe et rendant grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit: «Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour la multitude. Amen, je vous le dis: je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’à ce jour où je boirai un vin nouveau dans le royaume de Dieu.»
Après avoir chanté les psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers.
À la fin du cycle pascal et avant de reprendre le «temps ordinaire», la liturgie nous propose trois grandes fêtes qui célèbrent notre Dieu : la Pentecôte, fête de l’Esprit Saint, la Trinité qui révèle toute la richesse de Dieu, et la fête du Corps et du Sang du Christ, qui met l’accent sur le Dieu incarné, le Dieu-avec-nous : «Voici que je suis avec vous jusqu’à la fin des temps» (Mt 28, 20).
La fête de l’eucharistie, que l’on appelait autrefois la Fête-Dieu, est la célébration de l’alliance entre Dieu et nous. Il y a quelques années, nous aimions souligner cette alliance par une procession à travers les rues de nos villes et villages. Nous voulions affirmer notre foi au grand jour. Aujourd’hui, nous célébrons de façon plus simple et plus intérieure. Depuis plus de sept siècles, la Fête-Dieu souligne la présence du Seigneur parmi nous. Sainte Juliane de Liège, une religieuse de l’ordre de S. Augustin, en a été l’instigatrice et le Pape Urbain IV a demandé à saint Thomas d’Aquin de préparer une messe spéciale pour cette fête. Au 13e siècle, Thomas a écrit le Tantum Ergo et le O Salutaris Ostia. Ces hymnes d’une grande beauté reviennent de temps à autre dans nos liturgies.
L’histoire de la Bible est l’histoire de Dieu qui cherche à faire une alliance avec son peuple : avec Noé, après le déluge, avec Abraham son ami et avec Moïse, le libérateur. Plus tard, les prophètes annoncent une nouvelle alliance personnelle avec chacune et chacun de nous, alliance qui se réalisera en Jésus-Christ, le Dieu-avec-nous.
Lorsque le Christ a célébré la Pâque, il n’avait pas autour de lui des gens parfaits. Il y avait là Pierre, Judas, Jean et les autres apôtres. Le Seigneur connaissait leurs faiblesses. Il était habitué à manger avec les publicains et des pécheurs, il fréquentait les prostituées, les collecteurs d’impôts, les gens simples qui avaient confiance en lui. Même dans l’atmosphère solennelle de la chambre haute, même dans le cercle restreint des douze apôtres, on peut entendre la question : «Pourquoi mange-t-il avec des pécheurs?» L’eucharistie est le souvenir de ces repas du Christ avec ses amis, avec celles et ceux qui comptaient sur lui et qui trouvaient en lui leur salut.
Le Nouveau Testament nous offre quatre récits de l’institution de l’eucharistie : les récits de Marc, de Luc, de Matthieu et de Paul. Jean remplace l’institution de l’eucharistie par le lavement des pieds. Les quatre récits sont d’accord sur l’essentiel, mais ils nous présentent des formules un peu différentes prononcées par Jésus. Il est important de souligner ce fait, pour nous délivrer d’une conception trop «rituelle» des sacrements, comme si Dieu était lié à des mots précis, comme c’est le cas dans les formules magiques.
Il est évident qu’aucun des quatre récits ne raconte tout ce que Jésus a fait au cours de son dernier repas. En fait, on ne connait pas les paroles exactes prononcées par Jésus le soir du jeudi saint. Nous sommes en présence de textes liturgiques qui nous rapportent comment les premières communautés chrétiennes célébraient la mémoire, le souvenir de ce dernier repas du Seigneur. L’Église primitive a eu davantage le souci de vivre l’Eucharistie que de faire un compte rendu détaillé de la dernière Cène.
Le Seigneur est un Dieu de tendresse, de miséricorde et de réconciliation. Le soir du jeudi saint, en plus de partager avec ses disciples le pain et le vin, il s’est mis à leur service, il leur a lavé les pieds. Il a demandé de se souvenir de ce geste d’amitié : «Faites ceci en mémoire de moi... faites comme moi j’ai fait pour vous»... Il ne s’agit pas d’une mémoire conservatrice, paralysante, mais d’une mémoire dynamique et ouverte, qui nous invite à faire des choses nouvelles, à nous impliquer dans notre monde pour le rendre meilleur.
À travers l’eucharistie, le Christ souligne certains éléments importants pour notre vie en Église : d’abord il nous rappelle que la haine et la division peuvent détruire la fraternité de nos rencontres eucharistiques. C’est pourquoi il nous dit dans l’évangile : «si, lorsque tu viens présenter ton offrande à l’autel, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande, va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis viens présenter ton offrande.»
Les symboles de cette fête de l’eucharistie sont des symboles d’unité dans la diversité, de pain partagé entre tous. Nous nous retrouvons réunis : jeunes et vieux, de différents partis politiques, de différentes classes sociales. Il y a parmi nous des traditionalistes et des innovateurs, des saints et des pécheurs, des gens mariés et des célibataires. Mais tous, nous sommes frères et soeurs dans le Christ qui nous réuni autour de lui pour partager le pain de vie.
L’eucharistie a toujours un lien direct avec notre vie quotidienne. À la fin de la messe, le célébrant nous renvoie à nos familles, à nos maisons, à notre milieu de vie : «Allez dans la paix du Christ.»
À travers les siècles, des millions de chrétiens, au contact de la parole du Seigneur et au partage de son corps et de son sang, ont reçu une force nouvelle dans le sacrement que nous célébrons aujourd’hui.
Que cette fête du Corps et du Sang du Christ, cette fête de l’Eucharistie nous fasse mieux connaître le Dieu qui nous aime et nous considère comme ses propres enfants. Qu’elle redonne un sens à notre vie et augmente en chacun de nous la foi, l’espérance et la charité.