Par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.
Lire le texte de la Passion
dans le Prions en Église
ou dans l'évangile de Marc
Autour de Jésus s’est développée une animosité qui est devenue graduellement de la violence aveugle, de plus en plus communicative. D’abord la haine des membres du sanhédrin, composé de pharisiens et de Sadducéens. Elle s’étend ensuite à tout le peuple qui finit par crier d’une seule voix à Pilate : «Crucifie-le».
Le Seigneur est accusé dans deux procès différents: un procès «religieux», devant les grands prêtres et devant les 70 membres du Sanhédrin... et un procès «politique», devant Pilate, représentant de l’empire romain. Au cours de ces deux procès, son identité véritable nous est révélée.
Jésus - le maître de la riposte qui jamais n’a perdu un argument face à ses adversaires – n’a parlé brièvement que trois fois au cours de ces deux procès. Son silence est impressionnant en raison même des questions qu’on lui pose. Devant le Grand Prêtre, il affirme être le Messie, le Fils de l’Homme. Face à Pilate, il reconnait être le Roi des Juifs, mais pas comme les rois de ce monde. Sur la croix, il reprend la plainte du Serviteur souffrant du prophète Isaïe : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?»
S. Marc met l’accent sur les éléments humains les plus dramatiques de la condamnation de Jésus. Au jardin de Gethsémani, il est «triste à mourir», il commence à sentir l’angoisse et la peur, il implore le Père de lui éviter cette mort tragique. Il ne trouve personne pour le consoler (ses trois amis les plus proches se sont endormis). Il est trahi, renié et tous les disciples l’abandonnent. Un assassin, Barrabas, est relâché à sa place, on se moque de lui et on le couvre de blessures. Sur le calvaire, au milieu des souffrances atroces de la crucifixion, on lui lance des insultes. Seules quelques femmes de ses amies observent de loin. À la fin, le Christ a l’impression que Dieu lui-même l’a abandonné. Sur la croix, toutes les douleurs, toutes les larmes, toutes les angoisses de nos vies sont réunies et Dieu est solidaire de toutes les souffrances qui étouffent notre monde.
Les trois autres évangélistes soulignent beaucoup moins cet aspect dramatique de la passion. Marc croit profondément dans l’incarnation de Dieu qui est devenu l’un de nous, avec tout ce que la vie apporte d’angoisses et de misère. Le Christ crucifié s’identifie à toutes nos souffrances et aux souffrances de ceux et celles qui meurent à cause des famines, des discriminations, des guerres, des tortures, des génocides.
Comme vous avez remarqué, les lectures de ce dimanche nous présentent deux processions. La première conduit Jésus dans la ville de Jérusalem où il est accueilli avec enthousiasme (procession des rameaux). L’autre l’entraîne hors de la cité, condamné à la mort la plus atroce imaginée par les hommes. Dans la liturgie des rameaux, il est acclamé comme «Fils de David… qui vient au nom du Seigneur». Dans la procession de la passion, la foule lance des cris de haine envers celui qui est condamné à mort, malgré le fait qu’il «ait passé sa vie à faire du bien». Dans la première procession, les gens étendent leurs vêtements sur la route pour lui rendre hommage, dans la seconde on lui enlève ses vêtements et on le couvre de blessures, de ridicule et d’injures. C’est la dualité de la réponse que l’on donne à Dieu à travers l’histoire… Parfois, nous lui permettons d’entrer chez-nous et parfois nous le rejetons violemment hors de nos vies.
Pour Marc, le véritable sens de la «Bonne Nouvelle de Jésus Christ, le Fils de Dieu» est révélé sur la croix. L’expression qui sort des lèvres du centurion romain est la synthèse de sa théologie : «Vraiment, cet homme est le Fils de Dieu». Le «secret messianique» de saint Marc est alors dévoilé et Jésus dit enfin qui il est. Pendant toute sa vie publique, il avait demandé aux gens de garder le silence sur son identité, car on ne pouvait vraiment «comprendre» Dieu qu’en regardant la croix : il est «fils», il est «roi», mais pas comme les hommes se l’imaginent... Il est tout amour, il est l’amour absolu, qui meurt pour «les autres»... Ce roi est le serviteur sans privilège et sans domination, qui «est venu pour servir et non pour être servi».
Chez saint Marc, c’est la façon dont Jésus donne sa vie qui déclenche l’admiration du centurion : ... ayant vu qu’il avait ainsi expiré... (Mc 15, 39). Pour ce rude militaire, c’est précisément parce que Jésus est allé jusqu’au bout de son amour, jusqu’à la mort sur la croix qu’il se révèle vraiment comme Fils de Dieu. La toute-puissance de Jésus est la faiblesse de son amour : «Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout».