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Réflexion sur l'évangile du 20e dimanche ordinaire, A

Par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.

 



 

 

Mt 15, 21-28

Jésus s’était retiré vers la région de Tyr et de Sidon. Voici qu’une Cananéenne, venue de ces territoires, criait: «Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David! Ma fille est tourmentée par un démon.» Mais il ne lui répondit rien. Les disciples s’approchèrent pour lui demander: «Donne-lui satisfaction, car elle nous poursuit de ses cris!» Jésus répondit: «Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël.» 

Mais elle vint se prosterner devant lui: «Seigneur, viens à mon secours!» Il répondit: «Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens. - C’est vrai, Seigneur, reprit-elle; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres.» Jésus répondit: «Femme, ta foi est grande, que tout se fasse pour toi comme tu le veux!» Et, à l’heure même, sa fille fut guérie.

 

 

20e dimanche ordinaire - A

photo du Père Allard


Femme, ta foi est grande, que tout se fasse pour toi comme tu le veux

 

L’évangile d’aujourd’hui nous parle d’une «étrangère» et de l’ouverture qu’on doit avoir envers ceux et celles qui sont différents de nous.

Cananenne aux pieds du ChristCananéenne aux pieds du Christ

Jésus a l’air de refuser son aide à la Cananéenne parce qu’elle n’est pas d’Israël, mais en réalité cette rencontre le pousse à reconnaître avec admiration la grande foi de la femme qui le supplie de guérir sa fille.

Matthieu écrivait son évangile pour une communauté composée de Juifs devenus chrétiens. Ceux-ci avaient tendance à être chauvins et xénophobes et se questionnaient sur le type de relation possible avec ceux et celles qui voulaient se joindre à eux mais qui n’étaient pas du peuple choisi.

Ce qui importe aux yeux de Dieu, nous dit le Christ, n’est pas l’appartenance à un peuple ou à une race mais la foi et la confiance en Dieu. On se souviendra qu’il n’avait pu faire de miracle à Nazareth, son village natal, «à cause de leur manque de foi». Il avait dit à Pierre qui commençait à s’enfoncer dans les eaux du lac de Galilée : «Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté». Par contre il admire à haute voix la femme de Canaan : «Femme, ta foi est grande, que tout se fasse pour toi comme tu le veux». Il aura la même admiration pour le centurion romain : «en vérité, je vous le déclare, chez personne en Israël je n’ai trouvé une telle foi

Le Christ est d’abord venu pour les gens de son pays et lorsqu’il envoie ses premiers disciples en mission, il leur a dit: «Allez vers les brebis perdus d’Israël et non vers les païens et les Samaritains». Mais ensuite, à la fin de l’évangile de Matthieu, il élargit et universalise la mission : «Allez dans le monde entier et prêchez la bonne nouvelle du salut». Il commence d’abord dans sa propre maison (Israël) pour aller ensuite vers les autres. C’est une excellente approche missionnaire.

La Cananéenne est l’une des figures les plus sympathiques de la Bible. Elle est la seule personne, dans les quatre évangiles, à gagner un argument avec Jésus. Face aux Pharisiens, aux Saducéens et aux Romains, Jésus a toujours eu le meilleur dans les discussions avec eux et il a constamment évité les pièges que lui tendaient ses adversaires. Mais devant cette Cananéenne, il doit s’avouer vaincu. La pauvre femme, avec beaucoup de courage, se précipite aux pieds du Seigneur, quitte à se faire rabrouer. Mais ce sont justement sa détermination, son humilité et sa grande foi qui provoquent l’admiration de Jésus et le convainquent d’exaucer sa demande, un peu comme il avait fait pour le centurion romain.

En lisant les évangiles avec attention, nous voyons que Jésus est non seulement un universaliste, il est contre toutes formes de discrimination.

Nous n’avons qu’à relire la parabole du bon Samaritain, le récit du repas avec les publicains, la visite chez Zachée, l’épisode de la femme adultère, le repas partagé avec un lépreux, sa rencontre avec la Samaritaine au puits de Jacob, ses paroles rassurantes au voleur crucifié avec lui, pour nous convaincre de sa lutte constante contre toute discrimination.

Le temps de Jésus n’était pas pire que le temps que nous connaissons aujourd’hui. Nous venons de terminer le siècle le plus atroce et le plus discriminatoire de toute l’histoire de l’humanité :

Les Nazis, au non de leur idéologie et de leur supposée supériorité arienne, croyaient avoir le droit de massacrer des millions de Juifs, de gitans, d’infirmes, de dissidents de toutes sortes. Ils utilisaient la torture, la déportation, les chambres à gaz, les camps d’extermination. Et les soldats SS avaient fait graver sur leur ceinturon ces paroles dérisoires : «Gott mit uns! Dieu avec nous!».

Les communistes de Lénine et de Staline ont réussi à faire assassiner dix millions de dissidents et à peupler les goulags du nord de gens soupçonnés d’être en désaccord avec eux.

En Afrique du Sud, les colonisateurs hollandais prétendaient être la nouvelle race choisie ayant droit de vie et de mort sur les africains noirs. L’apartheid était un régime sanguinaire, violent et discriminatoire.

Aux États Unis, les noirs étaient traités comme des esclaves, longtemps après que l’esclavage eut été aboli officiellement et on a continué à les torturer et à les lyncher pour la moindre infraction. Aujourd’hui encore, suite aux séquelles de cette barbarie, les noirs remplissent les prisons des USA.

Ces dernières années, nous avons vécu les nettoyages ethniques (joli terme pour indiquer les  meurtres à grande échelle de populations entières) en Bosnie, au Ruanda, au Darfour et dans bien d’autres pays.

En Allemagne, en France et en Italie, j’ai eu l’occasion de visiter plusieurs cimetières militaires. Au Mont Cassin, par exemple, comme dans plusieurs villes d’Europe, on a planté des milliers de croix sur les tombes de soldats allemands, polonais, américains, britanniques, canadiens... tous morts au nom de la Mère-Patrie, tous chrétiens qui se sont massacrés glorieusement les uns les autres, au nom de la cupidité, de la soif du pouvoir, de l’idéologie de leurs dirigeants!

À Turin, en Italie, j’ai vu une pancarte sur laquelle on avait écrit : «Maison à vendre, mais pas à des méridionaux!» Nous sommes tous les méridionaux de quelqu’un! Pour combattre cette discrimination, saint Paul écrivait : «Entre nous il n’y a plus ni esclaves, ni hommes libres, ni hommes ni femmes.» Que nous sommes loin de cet idéal du Royaume de Dieu sur terre! Dans les Actes des Apôtres, Pierre disait: «Je constate en vérité que Dieu ne fait pas acception des personnes, mais qu’en toute nation, celui qui le craint et pratique la justice lui est agréable.» (Actes 10, 34-35)

Abraham Lincoln, homme de grande foi écrivait: «Ne dites jamais que Dieu est de votre côté. Priez plutôt pour être du côté de Dieu». Se mettre du côté de Dieu, cela veut dire considérer tous les êtres humains comme des frères et des soeurs. Le grand S. Thomas d’Aquin ajoutait: «Celui qui a la foi voit tout avec les yeux de Dieu».

L’admiration de Jésus pour cette pauvre femme de Canaan nous invite cette semaine à réfléchir sur nos propres discriminations (nous en avons tous) et indique l’attitude à adopter envers ceux et celles qui sont différents de nous.

Femme, ta foi est grande, que tout se fasse pour toi comme tu le veux