Par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.
Mt 14, 22-33
Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Quand il les eut renvoyées, il se rendit dans la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. La barque était déjà à une bonne distance de la terre, battue par les vagues, car le vent était contraire.
Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils disaient: «C’est un fantôme», et la peur leur fit pousser des cris. Mais aussitôt Jésus leur parla: « Courage! c’est moi; n’ayez pas peur! » Pierre prit alors la parole: « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur l’eau. » Jésus lui dit: « Viens! »
Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant qu’il y avait du vent, il eut peur; et, comme il commençait à enfoncer, il cria: «Seigneur, sauve-moi!» Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit et lui dit: «Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté?» Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba.
Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent: «Vraiment, tu es le Fils de Dieu!»
Tous les commentateurs depuis les premiers siècles ont vu dans cette «barque» battue par les vents, un symbole de l’Église au milieu de la tempête. Lorsque Matthieu écrit son évangile, les communautés chrétiennes n’étaient, effectivement, qu’une barque sans défense voguant difficilement sur la mer déchaînée de l’Empire romain, ramant à contre‑courant ! Les dirigeants de l’Empire les persécutaient et les responsables du judaïsme les chassaient des synagogues. Il y avait dissension au sein même des communautés chrétiennes, entre celles venus du judaïsme et celles originaires du monde gréco-romain.
Le récit de la tempête apaisée est un texte plein d’images et de symboles, qui s’appliquent aussi bien aux conditions difficiles du temps de Matthieu qu’aux conditions actuelles de notre Église. Aujourd’hui encore nous sommes dans la tempête. Notre monde est secoué par les guerres, les batailles entre partis politiques, le terrorisme, les ouragans, les épidémies, les famines, les tremblements de terre, les feux de forêts et les inondations. Les maladies de toutes sortes, les faillites immobilières, la flambée des prix, les pertes d’emploie, la pornographie, la drogue, la violence, les abus sexuels font parti de notre quotidien. L’Église se retrouve en période de décroissance et semble faire face à des problèmes insurmontables : L’assistance diminue, la «population pratiquante» vieillit, les églises ferment leurs portes et le nombre de prêtres ne suffit plus.
Ce sont les tempêtes dont parle l’Évangile. À travers tout cela, le Christ ne semble pas se rendre compte de ce qui se passe dans le monde. Il répète aux disciples : «Courage, c’est moi, n’ayez pas peur! Je suis là, avec vous.»
Pierre, qui nous représente tous, fait un acte de bravoure et demande au Christ d’aller le rejoindre sur les eaux en furie, mais sa foi n’est pas à la hauteur de ses aspirations. La peur le prend et il commence à couler. «Homme de peu de foi! Pourquoi as-tu douté?», lui dit Jésus, tout en lui tendant la main.
Il est intéressant de noter que Pierre, celui qui doute, qui s’enfonce dans la mer en furie, qui renie le Christ, est celui choisi pour devenir le chef de l’Église. Il aura pour tâche «d’affermir ses soeurs et ses frères dans la foi»! Ceci nous rappelle que notre foi n’est pas basée sur les dirigeants de l’Église, qui sont humains et faibles, mais sur le Christ lui-même qui assure la paix, la sérénité, la continuité de notre communauté chrétienne à travers les tempêtes de notre monde.
La «foi» est un combat contre le doute et contre la peur. Pierre, le «premier des croyants», n’est pas choisi à cause de ses qualités personnelles. Après toutes ses grandes déclarations de fidélité, nous le voyons perdre pied au procès de Jésus où il affirme «qu’il ne connaît pas cet homme». Au milieu de son doute et de sa peur, le chef des apôtres prie aujourd’hui avec insistance : «Seigneur, sauve‑moi! Kyrie eleison!» Tout comme chacun et chacune d’entre nous, le chef des premières communautés chrétiennes, le premier Pape, possède une foi fragile, il est plein de peurs et d’angoisses. Cependant, lorsque Jésus est avec lui, lorsqu’il lui prend la main, il se sent en sécurité. Dans notre monde de turbulence extrême, le Christ est là au coeur de nos tempêtes, il est source de paix.
À certains moments de la vie, notre horizon s’assombrit, à cause des échecs, des maladies, des deuils, des problèmes familiaux, des difficultés de toutes sortes. Dans la nuit, nous sommes sur une barque battue par les vagues, sous les rafales meurtrières des vents contraires. Et le Christ nous répète: «N’ayez pas peur, c’est moi, voici que je suis avec vous, jusqu’à la fin des temps.» Il est toujours prêt à nous tendre la main pour nous empêcher d’être engloutis par les flots. Le soir du Jeudi Saint, il avait dit à ses disciples : «Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix, mais je ne vous la donne non pas comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble ni ne s’effraie.» (Jean 14, 27)
Chaque dimanche, nous nous rassemblons pour expérimenter cette présence du Christ dans nos vies et chaque dimanche, il nous répète ce qu’il dit à ses apôtres sur les eaux en furie :
«Courage, c’est moi! N’ayez pas peur.»
Source des images: (1) Méditation, par Rembrandt, Musée du Louvre.;