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Réflexion sur l'évangile du huitième dimanche du Temps de l'Église, A

Par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.

 



 

 

Matthieu 6, 24-34

Comme les disciples s'étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait : «Aucun homme ne peut servir deux maîtres : ou bien il détestera l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'Argent. C'est pourquoi je vous dis : Ne vous faites pas tant de souci pour votre vie, au sujet de la nourriture, ni pour votre corps, au sujet des vêtements. La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement?

 

«Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils ne font pas de réserves dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux? D'ailleurs, qui d'entre vous, à force de souci, peut prolonger tant soit peu son existence?

 

«Et au sujet des vêtements, pourquoi se faire tant de souci? Observez comment poussent les lis des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas. Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'était pas habillé comme l'un d'eux. Si Dieu habille ainsi l'herbe des champs, qui est là aujourd'hui, et qui demain sera jetée au feu, ne fera-t-il pas bien davantage pour vous, hommes de peu de foi?

 

«Ne vous faites donc pas tant de souci; ne dites pas : "Qu'allons-nous manger?" ou bien : "Qu'allons-nous boire?" ou encore : "Avec quoi nous habiller?" Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d'abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus le marché. Ne vous faites pas tant de souci pour demain : demain se souciera de lui-même; à chaque jour suffit sa peine.»

 

Huitième dimanche du Temps de l'Église - A

photo du Père Allard


Cherchez d’abord le Royaume des cieux et sa justice

 

Une lecture superficielle de l'évangile d'aujourd'hui nous induirait en erreur. Jésus aurait-il condamné l'argent? Aurait-il recommandé l'insouciance et la paresse? Aurait-il conseillé de ne pas prévoir les besoins du lendemain? Ce n’est pas le sens des paroles du Seigneur.

«Aucun homme ne peut servir deux maîtres... Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et l'Argent...» Voilà la clé de lecture de ce texte. Il est bien dommage que les traducteurs n'aient pas conservé ici le mot que Jésus a certainement utilisé. «Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et Mammôn...» Ce mot araméen a été conservé dans le texte grec de Matthieu parce que, selon toute vraisemblance, il vient de la bouche même de Jésus, dont c'était la langue maternelle.

wallstreet«Mammôn», en araméen, signifie effectivement «l'argent», «le gain», «le profit», «la richesse». En opposant «Dieu», et «Mammôn», Jésus semble personnifier l'argent et en faire une sorte d'idole. Jésus pense à l'Argent comme si c'était l'Adversaire de Dieu, le «Prince de ce monde» qui asservit les hommes.

Saint Jérôme, faisait déjà remarquer que Jésus ne condamne pas le fait d’avoir de l'argent mais bien «de servir l'argent». Lui qui, à Nazareth, avait travaillé avec son père, à la sueur de son front, lui qui a reproché au mauvais serviteur de ne pas avoir fait fructifier son argent à la banque dans la parabole des talents, ne condamne pas l’usage de l’argent mais l’asservissement à l’argent.

Jésus attaque l'esclavage de l'argent qui est le véritable cancer de nos sociétés. Notre civilisation occidentale est en train de se détruire elle-même, sous le rythme infernal que lui impose la course au standing, au luxe extrême, aux gadgets de toutes sortes. On gaspille les ressources de la planète afin d’augmenter les profits d’un petit nombre de spéculateurs. On continue le pillage des pays pauvres au profit des pays riches. La cupidité de Wall Street a provoqué la crise économique actuelle et a ruiné des millions de personnes. Pendant que croulait l’économie mondiale, certains requins de la finance engrangeaient des sommes colossales. À cause de leurs décisions irresponsables, un nombre incalculable d’honnêtes gens ont perdu leur emploi. Cette crise a provoqué un désarroi sans précédent dans tous les pays du globe.

Autre point de réflexion sur le «Mammôn d’iniquité». Il semble que pour certains postes budgétaires il y ait toujours des fonds disponibles, alors que d’autres font face à des coupures substantielles. Pour le ministère de la guerre et de la défense, il y a toujours des fonds. Les lobbyistes de l’industrie militaire sont omniprésents dans les couloirs du gouvernement et les armes les plus sophistiquées constituent l’une des denrées les plus lucratives de la planète. Le prix d'un seul char d'assaut permettrait de nourrir des milliers d'affamés! Le coût d’un seul chasseur bombardier permettrait l’implantation des centaines de pharmacies de village, ce qui pourrait sauver la vie d’un grand nombre d’enfants et de personnes âgées! Combien de gouvernements dépensent plus en armements qu’en éducation, en santé et en services sociaux!

" Jésus ne condamne pas le fait d’avoir de l'argent mais bien «de servir l'argent».

La réflexion de Jésus sur le dieu «Mammôn» est donc aussi valable aujourd’hui, qu’elle ne l’était à son temps. L'argent peut être un merveilleux serviteur, mais il est un très mauvais maître.

«C'est pourquoi je vous dis: Ne vous faites pas tant de souci pour votre vie, au sujet de la nourriture, ni pour votre corps, au sujet des vêtements.  La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement?» Le souci, le tracas est, effectivement, l’une des formes de servitude que la richesse entraîne. Le monde moderne occidental est statistiquement plus fragile aux infarctus, aux dépressions et aux suicides que le reste du monde.

Jésus n’est ni contre le travail, ni contre l’argent. Le premier chapitre de la Genèse nous demande de «dominer la terre et de la soumettre». Et Jésus, affirme que «Celui qui travaille mérite son salaire.» (Mt 10,10).  Il condamne l'homme qui n'a pas fait fructifier le talent reçu (Mt 25,14-30). Ce que le Christ souligne aujourd’hui, c’est qu'il ne faut pas prendre l'argent comme une idole ou une divinité qui nous asservisse complètement. Jésus veut nous arracher à l'idolâtrie et au pouvoir de l'argent.

Depuis toujours, et particulièrement aujourd’hui, on rend hommage à Mammôn, le dieu argent, en offrant sur son autel toutes sortes de sacrifices : la santé, les principes éthiques, la famille, les amis, etc. Combien d’hommes et de femmes ont un agenda noir de rendez-vous, mais n’ont pas de temps pour la famille et les amis! «Personne ne peut servir deux maîtres : Dieu et Mammôn

A la fin du texte, Jésus résume son enseignement en une formule dense et vive : «Cherchez d'abord le Royaume des cieux et tout le reste vous sera donné par surcroit!» Cela doit être notre premier soucis et non pas le dernier. Dans cette recherche du Royaume, nous trouverons la justice, le partage équitable, la fraternité humaine et la paix entre nous.

 

 

Source des images: Méditation, par Rembrandt, Musée du Louvre.;