Par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.
Mt 5, 13-16
Comme les disciples s'étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait : «Vous êtes le sel de la terre. Si le sel se dénature, comment redeviendra-t-il du sel? Il n'est plus bon à rien : on le jette dehors et les gens le piétinent. «Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l'on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, en voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux.»
Tout de suite après les Béatitudes, Jésus invite ses disciples à être «le sel de la terre» et «la lumière du monde». À première vue, ces expressions nous surprennent. Les Béatitudes avaient insisté sur les dispositions intérieures des disciples : pauvre en esprit, doux et humble de coeur, chercheurs de justice, hommes et femmes de miséricorde, artisans de paix. Et maintenant, Jésus les invite à prendre conscience de leur responsabilité face au monde et à afficher leurs couleurs.
«Vous êtes le sel de la terre», image expressive, susceptible de plusieurs sens complémentaires. Au temps de Jésus, le sel servait à fertiliser la terre, comme un engrais, pour que les récoltes soient meilleures. Il était aussi utilisé pour la conservation des aliments. Mais le rôle principal du sel est de donner du goût : sans sel, tout est fade.
Le Christ nous invite donc à donner du goût à notre vie et apporter un peu de chaleur, de fraternité et d’amour là où nous sommes. Il ne suffit pas de prier et de ne pas faire de mal pour répondre à l’invitation du Christ, il faut «faire la volonté de son Père».
En plus d’ajouter de la saveur à la vie, la mission du peuple de Dieu est aussi de faire briller un peu de lumière dans notre monde, symbolisée par la chandelle que nous avons reçue à notre baptême.
Sans lumière, il n’y a pas de couleur, pas de beauté, pas de vie. Jésus vivait dans une société préscientifique qui ignorait beaucoup de choses, mais il était plus proche que nous de la nature. Nous savons aujourd’hui que la lumière est une source essentielle à la vie.
«Il faut que votre lumière brille». Jésus veut que les chrétiens soient des fils et des filles de lumière dans un monde souvent rempli d’obscurité. «Une ville située sur une montagne ne peut être cachée».
Tenir notre flamme allumée devient donc une conquête journalière. Si elle s’éteint, nous pouvons la rallumer à la flamme du Christ, symbolisé dans nos églises par le cierge pascal.
Notre foi sert donc à donner de la saveur à la vie et apporte un peu de lumière et de chaleur aux ténèbres autour de nous. Nous avons besoin de ces deux éléments essentiels car «l'homme ne vit pas seulement de pain»... (Mt 4, 4).
Si le chrétien n'est plus du sel pour un monde souvent fade et sans saveur, s’il n’est pas une petite lumière pour éclairer les ténèbres, il ne sert à rien. Le chrétien «caméléon», qui adopte toutes les modes et toutes les mentalités de l’heure, qui prend la couleur de son milieu de vie, n'a plus aucune utilité.
À ceux et celles qui s'affadissent, aux chrétiens qui deviennent incolore, inodore, sans saveur, Jésus dit: «si vous voulez donner du goût et de la lumière à votre monde, vous devez être un peu différents de lui».
Un autre point important de l’évangile d’aujourd’hui : le Christ nous invite à agir ainsi non pas pour notre gloire personnelle mais pour la gloire de Dieu : «Votre lumière doit briller devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux.» Ce n'est ni la gloire de la communauté, ni celle de l'Église qu'il nous faut rechercher, mais toujours et uniquement la gloire de Dieu.
Le Christ nous invite à reconnaître ce que nous sommes : la saveur et la lumière du Royaume, et à agir en conséquence. Il nous faut éviter de devenir des chrétiens insignifiants : «Tu n’es ni chaud ni froid. Si seulement tu étais chaud ou froid. Mais parce que tu es tiède, je te vomirai de ma bouche» (Apocalypse 3, 15‑16).
Aujourd’hui, les communautés chrétiennes se retrouvent dans une situation de minorité, voire de marginalisation : petit troupeau au milieu d’un monde laïque, ou d’un monde se réclamant d'autres religions. L'heure n'est plus au triomphalisme, qui a fait trop de mal pour qu'on en garde la nostalgie, mais au service : «Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde».
Le Christ ne nous demande pas de changer le monde, mais de lui donner un peu de saveur, un peu de chaleur et de lumière.
Source des images: Méditation, par Rembrandt, Musée du Louvre.;