Il y a une dialectique dans l’homme comme dans les sociétés entre deux tendances : la première naturelle, c’est la tendance à la sécurité et au conservatisme; l’autre, également naturelle, c’est la tendance vers l’avant, vers la croissance. Le MC n’échappe pas à cette dialectique. Nous aussi, cursillistes, nous regardons parfois en arrière avec la nostalgie des «oignons d’Égypte» et il nous semble que le fait d’avoir passé la mer Rouge de nos 36 ans d’existence serait un motif suffisant de nous arrêter. D’autre part, à certaines heures, nous nous sentons attirés par le futur. Sachons bien que si nous ne continuons pas de marcher… nous n’arriverons jamais à la Terre Promise!
Les Cursillos ont eu une naissance historique, bien située dans le temps et l’espace, bien déterminée par un groupe d’hommes qui étaient influencés par un contexte social et religieux très différent du nôtre. Ils sont nés dans une Église que nous appelons maintenant «pré-conciliaire», une Église qui ne se nourrissait pas encore des grands courants de pensées rénovatrices qu’allait apporter Vatican II.
Et pour compliquer la situation davantage, les Cursillos ont eu plusieurs naissances successives. La deuxième, qui nous concerne en Colombie, a eu lieu en 1953, grâce à l’extraordinaire personnalité de Mgr Rafaël Samiento P. Ici aussi, les Cursillos sont nés bien marqués par le temps et l’espace et les circonstances. Les conditions étaient tellement différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui qu’on peut dire que les Cursillos sont nés de façon «anormale» chez nous, avec d’énormes modifications dans la méthode, car ils étaient conçus pour les femmes seulement et externes en plus!
Mais ce qui ne change pas, c’est que les Cursillos sont nés comme une réponse à une situation sociale, politique et ecclésiale. Et j’ose affirmer qu’il est essentiel à l’esprit du Mouvement d’être une réponse toujours actuelle (voir IFMC, première édition, p. 31 a) et b). Et il est bien évident que ce n’est pas seulement la réalité insulaire de Majorque, où naquirent les premiers Cursillos, qui a changé mais c’est le monde en général qui a évolué de manière effarante. En Amérique, le changement est tel que nous assistons à la naissance d’une nouvelle culture, ce qui signifie – n’ayons pas peur des mots – une nouvelle civilisation! Or, une nouvelle civilisation exige une autre façon d’évangéliser sa culture. Ce qui implique une réflexion continue pour ajuster la présentation du message évangélique à la nouvelle réalité. Les Cursillos ont donc à évangéliser au sein d’une réalité substantiellement différente de celle de ses origines. C’est pour cela que les Cursillos ont changé et doivent encore beaucoup changer partout dans le monde, tant dans leur mentalité que dans leur méthode. L’identité du Mouvement ne doit pas être confondue avec l’identité de son passé, parce que ce passé – qui a marqué si profondément le Mouvement – est disparu. L’identité du MC consiste radicalement d’être une réponse d’aujourd’hui en fidélité à la mentalité première.
La Bible nous raconte l’histoire symbolique de la femme de Lot qui voulut sauvegarder le passé avec lequel elle venait de rompre, en regardant en arrière. Elle fut changée en statue de sel. Nous ne pouvons pas nous permettre de courir le risque de nous identifier à ceux qui se découvrent une vocation de statues, qui regardent en arrière avec beaucoup de nostalgie. Ces gens-là peuvent se diviser en trois groupes :
1) pour beaucoup, le passé – paradoxalement – devient un but. D’après eux, l’histoire se répète inlassablement. Ce qui fut, doit revenir à nouveau comme il était. L’histoire est donc un sempiternel recommencement;
2) pour d’autres, le passé comme tel est un critère d’orthodoxie. On reconnaîtra comme authentique uniquement ce qui est conforme à ce qui a toujours été dans le passé, même si ce «toujours» a été de courte durée, et même s’il n’a pas été reconnu partout et par tous;
3) enfin, pour d’autres, le passé servira de source d’inspiration pour amorcer quelques réformes, mais en utilisant des expressions ambiguës, comme par exemple «le retour aux sources». Ce qui, au fond, signifie pour eux, étrenner du vieux.
On remarquera que l’abus de ces trois positions n’est pas dans le fait de recourir au passé, mais dans le fait de le mythifier, d’en faire un absolu, de le convertir en idéologie. Et quand on a cette mentalité, ce n’est pas seulement envers le Cursillo, mais c’est toute la vie que l’on voit avec de telles lunettes. Or, c’est précisément cette mentalité qui recourt au passé pour essayer de faire du neuf, qui convertit actuellement le MC, avec ses dirigeants et ses cursillistes, en agents de conservation plutôt qu’en agents de changement. Qui n’aura pas entendu dire que le MC, à l’heure actuelle, est un Mouvement conservateur au service – inconsciemment peut-être – de l’establishment? Accusation fausse, certes, en bien des endroits, mais révélatrice de l’image partielle que nous offrons au monde.
Une autre conséquence, et cause en même temps, de la persistance de cette vocation de statues dans le MC, c’est l’immobilité des dirigeants, à savoir la permanence des mêmes personnes avec les mêmes responsabilités. Parce que ce sont, ordinairement, des hommes de valeur exceptionnelle, parce que ce sont des témoins de la première heure, parce qu’ils y ont mis des années d’efforts et de dévouement, ils sont devenus des dirigeants forts et expérimentés. Dans le cas des prêtres, il y a, en plus, la pénurie de relève. Si on reste emprisonné sous cloche, on empêche la mobilité humaine. Ces personnes rivées à leur poste deviennent les seuls dirigeants possibles – selon eux – et empêchent les jeunes générations d’avoir accès à la gestion décisionnelle dans le MC. Or, l’immobilisme humain entraîne inévitablement l’immobilisme dans la mentalité; c’est pour cela que le Mouvement piétine. Et comme conséquence grave, il y a une fuite de matière grise dans le MC, car beaucoup de jeunes n’y trouvent pas leur place, ni dans les charges ni même dans la mentalité du Mouvement. Nous assistons alors à un véritable processus de vieillissement. Que faire?
Face à la réflexion antérieure, nous devons entrer résolument dans l’esprit d’une nouvelle attitude, d’une nouvelle recherche. Selon nous, le MC doit s’enrichir sur trois plans qui sont : la mentalité, les structures et la méthode.
Ici, peut-être que des paroles autorisées pourront nous éviter des interprétations erronées. Les IFMC nous affirment «qu’il n’y a pas de mentalité sans évolution et que cette évolution est à la fois conséquence de la mentalité qu’on possède et cause de la mentalité en devenir. Mais la mentalité comporte toujours un noyau irréductible qui, en fin de compte, l’identifie». Fidèle à ce principe étonnant qui affirme que l’évolution est en germe dans la mentalité elle-même, on a pu écrire : «Nous ne prétendons pas que la vision que nous en présentons aujourd’hui (dans la première édition des IFMC), ait été parfaitement claire et précise dès les débuts du Mouvement. Comme il arrive dans les Cursillos, l’on commence par vivre et ensuite on fait de la théorie sur le vécu. C’est une théorie qui naît de la réalité» (p. 19).
Par conséquent, si l’on veut être fidèle au Cursillo, il faut en renouveler la mentalité dans l’esprit de Vatican II. Ce qui revient à affirmer qu’il faut enrichir notre mentalité. On enrichit une mentalité lorsqu’on élimine certaines choses qui correspondaient à un contexte historique et social déterminé et lorsqu’on assimile de nouvelles données non comprises dans le contexte passé. Cela exige dans le MC d’aujourd’hui, un réajustement continu, dans le but d’obtenir une vie de grâce plus incarnée, une espérance plus concrète, un salut plus inscrit dans la communauté (voir IFMC, première édition, p. 30).
De plus, si nous voulons enrichir la mentalité à partir de l’esprit ecclésial, nous devrons le faire, premièrement, en observant les signes des temps. Les paroles suivantes des IFMC sont encore plus valables qu’au moment où elles ont été écrites : «Il nous est donné de vivre à une époque merveilleuse. Nous sommes en train de passer des principes au vécu, de la froideur institutionnelle à la chaleur communautaire, de la lettre qui tue à l’esprit qui vivifie, de la loi écrasante à la liberté des enfants de Dieu, de la sécurité de la tradition à la remise en question vivifiante, de la soumission infantile à la responsabilité adulte… Bien sûr, ce passage est parfois troublant, mais nous savons que l’Esprit sera toujours avec nous» (IFMC, première édition, p. 29-30).
Les signes des temps, sont la parole historique de Dieu, l’exigence concrète de la croissance humaine. Le processus moderne d’humanisation exige que dans les Cursillos nous pensions davantage en termes anthropologiques, car à la racine de toute la pensée actuelle – ecclésiale ou non – c’est l’Homme qui est au centre. Cela signifie un réajustement de perspective qui enrichira la mentalité du Cursillo. La perspective théologique s’harmonise parfaitement avec la dimension anthropologique, et, enrichie, redéfinit la tâche évangélisatrice.
Mais tenir compte des signes des temps ne suffit pas. Il faut, deuxièmement, les lire à la lumière de la Parole de Dieu. Une méditation constante de la Parole nous conduira à une meilleure compréhension historique et spirituelle de la Bible et de l’Homme, et partant, nous conduira à une mentalité élargie du MC.
Nous pouvons donc conclure en toute certitude et sans crainte d’exagérer que la mentalité des Cursillos ne peut plus être identique à la mentalité de ses origines. Et dans les IFMC, il y a tout un chapitre qui corrobore cette affirmation (p. 15 à 34, dans la première édition). La mentalité des Cursillos s’est modifiée – comme toute culture – à partir de trois facteurs :
1) par purification (les éléments caducs disparaissent d’eux-mêmes);
2) par croissance normale de l’embryon (facteurs internes);
3) par enrichissement (facteurs externes).
Or, si la mentalité a changé et qu’elle fait partie de l’essentiel du Mouvement, on ne doit pas hésiter à affirmer que l’essentiel du Mouvement a changé lui aussi. On le comprendra mieux si on compare le MC à un organisme humain. L’enfant et l’adulte sont substantiellement la même personne même s’il y a eu des changements substantiels dans leur réalité biologique, morale, intellectuelle ou affective.
D’entrée de jeu, nous réaffirmons notre accord avec le principe qui veut que le MC ait un minimum d’organisation. La bureaucratie en effet – qu’elle soit présente en politique ou dans l’Église – laisse toujours l’idée d’une machine nécessaire pour le fonctionnement de l’œuvre, mais qui, trop souvent hélas, empêche d’en atteindre les objectifs. Or nous voulons être un Mouvement avec le minimum d’autorité personnelle (autorité verticale), et avec le maximum de participation des dirigeants dans les décisions et la pensée des Cursillos.
«Enrichir les structures», cela signifie continuer à encourager les initiatives dans les phases du Mouvement et, en particulier, les nouvelles expériences du Postcursillo, de les évaluer en vue d’arriver à des formes plus adéquates et plus efficaces pour que le Postcursillo offre les meilleures conditions pour la croissance de la foi et l’insertion apostolique des cursillistes dans les structures temporelles (cf. Document Final, 1984, art. 5 et 6). «Enrichir les structures», cela signifie d’accéder à l’esprit de communauté, en surmontant cet esprit de petit groupe restreint comme unité autosuffisante pour habiliter à l’évangélisation. Cela signifie encore être davantage vie et de moins en moins structure, davantage élan et de moins en moins réunion; en un mot, d’être mouvement.
Réviser nos structures nous permettrait, entre autres, de rejoindre la jeunesse que nous avons marginalisée, sinon en en théorie du moins en pratique. Peut-être que nos structures actuelles ne sont pas adéquates pour le respect de l’égalité des femmes et sa pleine participation dans l’élaboration et l’exécution des décisions du MC. Du mythe des structures, il faut revenir aux racines (la mentalité) du Mouvement. On exagère trop souvent, à mon avis, quand on affirme que les structures du MC sont excellentes et que ce sont les membres qui sont coupables des failles. J’ai toujours cru que c’était un péché «anthropologique» que de placer les structures au-dessus des personnes. Les conséquences négatives ne se font pas attendre: c’est la fossilisation des normes et le MC cesse de grandir et d’être dès lors une réponse toujours actuelle. Ce n’est pourtant pas ce qu’écrivent les IFMC : «L’Homme est un agent de changement. La mentalité l’est aussi grâce à sa fonction de projection créatrice. Il n’y a rien de plus éloigné du bon usage de la mentalité que de se contenter d’en être le censeur. Lorsqu’on se rend compte que quelque chose ne va plus, il faut se servir de son imagination afin de dépister les solutions les meilleures en raison des circonstances. Puisque le Cursillo est une réalité embryonnaire, sa mise à jour doit être permanente» (cf. IFMC, première édition, p. 31).
«Étant donné que la méthode des Cursillos consiste à appliquer une mentalité de façon ordonnée comme solution à une problématique concrète dans le but d’atteindre un but précis, c’est seulement l’unité de mentalité qui pourra rendre possible la diversité de son application, sans jamais perdre son identité. La mentalité engendre le discernement; la méthode engendre la norme. La norme, même si elle oriente, peut parfois restreindre. Le discernement, au contraire, libère. La mentalité est créatrice; la méthode, bien qu’elle soit là pour aider, peut paralyser» (Ibid. p. 18).
«La mentalité est créatrice», voilà la règle d’or! S’il doit surgir une mentalité nouvelle édifiée sur le passé mais enrichie d’apports nouveaux, il n’y a pas aucun doute qu’il faille aussi conformer la méthode à cette nouvelle mentalité. Conformer la méthode, cela signifie inventer un nouveau Précursillo, comme cela s’est fait à San José (Costa Rica); cela signifie adapter le Cursillo comme on ne l’a pas encore fait sérieusement au niveau mondial, mais seulement au niveau diocésain; cela signifie enfin conformer le Postcursillo qui doit être la pièce maîtresse de notre créativité.
On vient de le dire: «La méthode peut paralyser». C’est ici, dans l’enrichissement de la méthode, que peut se présenter les plus graves écueils et les grandes brisures dans l’unité du Mouvement. C’est ici, en effet, qu’on peut discuter longuement sur ce qui est essentiel et oublier facilement la mentalité, pour perdre ensuite la finalité. Pourquoi? Parce qu’il y a chez plusieurs la conviction tacite que la méthode est essentielle au MC. Et, plus sournoise encore, il y a une tendance implicite à identifier la méthode du MC avec les trois-jours. Identification superficielle qui conduit, tôt ou tard, à identifier tout le Mouvement avec les seuls trois-jours. Cette opinion inavouée mais existante nous a fait beaucoup de tort. C’est là une manifestation du cursillisme, dans le plus mauvais sens du mot.
L’identité de la méthode consiste à être fidèle à la mentalité du Mouvement et à être un instrument propice pour l’obtention de la finalité. Si on tient compte de cette affirmation, ce qu’il y aura de plus malléable, ou si vous voulez, de moins fixe dans le MC, ce sera précisément la méthode qui n’a pas de valeur en soi, mais uniquement comme instrument au service de la mentalité et de la finalité. La méthode, c’est seulement l’outil qui permet de mettre l’essence en application. Cette façon de penser est fondamentale si l’on veut conserver l’unité dans la pluralité: «Ce qui revient à dire que le Mouvement donne plus d’importance à la mentalité et aux personnes qu’à la méthode; de sorte que celles-ci se sentiront encouragées dans leur marche vers Dieu et dans leur effort vers la plénitude humaine» (cf. IFMC, première édition, p. 31).
La méthode n’est donc pas l’essentiel du Mouvement. La méthode est plutôt l’instrument pour que le MC accomplisse sa finalité, guidé par sa mentalité. Est-ce que la méthode est alors méprisable et que chacun peut en faire ce qu’il veut? – Jamais de la vie! Les structures et la méthode – sans être l’essence même du Mouvement – en constituent néanmoins des éléments nécessaires sans lesquels le Cursillo ne pourrait exister (Ibid. p. 38). Réellement, les fondateurs nous étonnent en dépassant eux-mêmes leur propre schème.
Nous pourrions conclure en disant que l’identité du Mouvement est la somme de trois éléments :
1) la croissance permanente et dynamique de sa mentalité;
2) le développement et la mise à jour continuelle de sa méthode;
3) l’obtention efficace de sa finalité.
Le MC est donc identique à lui-même lorsque sa méthode est en croissance permanente et lorsqu’il poursuit toujours la finalité qu’il s’est donnée, à l’intérieur de sa propre mentalité. Croître n’est pas perdre son identité. Au contraire, quand il s’agit d’un Mouvement, croître est un devoir d’identité! C’est pour cela que les IFMC ont pu écrire : «Les Cursillos ont évolué au cours de leur histoire; ils se sont modifiés; mais ceux qui connaissent bien le MC, les reconnaissent comme d’authentiques Cursillos» (Ibid, p. 37).
Nel H. Beltrán S.
Animateur Spirituel en Colombie