Avant de parler du charisme de fondation dans le MC, il faut préciser ce qu'on entend par charisme. Selon le Dictionnaire de Pastorale (1988), le terme grec " karisma " signifie : don, cadeau, grâce, équivalent aussi à appel et vocation. Il est pratiquement synonyme de fonctions et d'activités. " Les charismes sont les effets de l'Esprit de Dieu en un croyant, effets qui ne peuvent jamais être exigés par l'homme, ni prévus par les organes officiels de l'Église, ni être obtenus par la réception des sacrements. En un sens plus propre, le charisme peut se définir comme la vocation concrète et continue (qui embrasse le temps et l'éternité) qui agit dans la communauté chrétienne, la construit en permanence et demeure au service du prochain dans l'amour. Ses formes étant imprévisibles, le charisme est à découvrir et ensuite accepté, à chaque fois, ce qui requiert une délicate action de discernement et l'écoute de l'Esprit dans la communauté ecclésiale ".
On dit encore en théologie que le charisme est " un don que Dieu donne à qui Il veut, non pour l'usage de celui qui le reçoit, mais pour que celui-ci en fasse bénéficier toute la communauté et l'Église ".
Dans le charisme, nous pouvons distinguer quatre éléments :
Un don de Dieu
Fait à des hommes précis
Pour les autres et pour l'Église
Reconnu par la hiérarchie
Il n'y a pas de doute que le Mouvement des Cursillos a un charisme propre puisqu'il est un don de l'Esprit à son Église, qui fait en sorte que ' depuis ses débuts en 1944 à Majorque par un groupe de laïcs ' beaucoup de personnes font la rencontre de soi, de Dieu par le Christ, et des autres. Charisme qui a été reconnu par la hiérarchie.
Pour une meilleure compréhension de notre charisme, il convient de préciser les circonstances humaines de sa naissance. Ce furent justement de jeunes hommes laïcs, ces personnes précises, qui, en un lieu et en un temps déterminés, après beaucoup de prière, d'étude et de réflexion, ont structuré et mis en marche le Mouvement des Cursillos.
Sans doute les Cursillos sont un don de Dieu, mais ils ont eu, comme toute 'uvre humaine, leur gestation. Pour mieux le saisir, il faut avoir à l'esprit cette phrase de Ellermeier : " On ne peut comprendre adéquatement un phénomène historique que lorsqu'on illumine ses débuts "
Le début du commencement, ce qu'on pourrait appeler la première étape, a consisté dans une inquiétude, vécue et expérimentée, causée par la désorientation qui a suivi les deux guerres consécutives : la guerre civile d'Espagne et la Seconde Guerre Mondiale. On priait et l'on était préoccupé : Qu'arrivera-t-il maintenant' Mais quelqu'un ' et plus tard, quelques-uns ' nous nous sommes demandés : Peut-on faire autre chose que prier' Nous nous sommes réunis, nous avons prié et réfléchi, nous avons pensé et étudié, puis nous sommes revenus à la prière' Et quelqu'un, qui n'appartenait pas encore à l'Action Catholique, se mit à faire l'étude systématique de la situation. Cet homme et quelques autres par la suite ont été beaucoup frappés par un discours du Pape Pie XII prononcé le 6 février 1940 devant les curés de Rome :
" Avec un regard lucide et pénétrant, il faut se brosser un tableau exact et minutieusement détaillé, topographique même, rue par rue, d'abord de la population fidèle et parmi elle, spécialement des membres choisis, de ceux dont on pourrait tirer des éléments pour promouvoir l'Action Catholique, et ensuite, faire la liste des groupes qui se sont éloignés de la pratique de la vie chrétienne, car ce sont aussi des brebis qui appartiennent à la paroisse, des brebis égarées. Car de celles-là aussi, et principalement de celles-là, vous êtes les pasteurs ".
La lecture de ce discours du Pape nous incita à étudier le " milieu " de façon plus profonde, sérieuse et systématique et à le formuler d'une manière très concrète dans un texte que nous appelions déjà ' en 1940 ' " étude du milieu ". Nous nous demandions comment pénétrer le milieu, comment le rendre chrétien. Puis nous avons fait une étude que nous avons intitulé " ceux de la maison ", dans laquelle avec une ironie un peu débridée propre à notre jeunesse, nous sommes arrivés à la conclusion que le levain sur lequel nous devions compter n'était pas lui-même des plus approprié'
En 1941, le Conseil supérieur des jeunes de l'Action Catholique avait été convaincu par son président national, Manuel Aparici ' qui deviendra plus tard prêtre et aumônier national ' de réunir à Santiago de Compostelle 100,000 jeunes garçons en état de grâce. Ceci pour répondre à l'affirmation faite par Pie XI dans son encyclique de 1937, intitulée : " Vivement préoccupé ", sur la situation de l'Église en Allemagne, dans laquelle il affirmait que le monde avait besoin de compter sur une chrétienté qui pourrait être, par ses solides vertus chrétiennes, l'exemple et le guide du monde. Une délégation de jeunes se rendirent même à Rome promettre au saint-père que la jeunesse d'Action Catholique s'efforcerait d'obtenir que ce soit en Espagne que se constitue cette chrétienté que le Pape voulait. Et, profitant des vacances de Noël et de Pâques, ces jeunes parcoururent plusieurs diocèses pour donner des cours (Cursillos) qui duraient une semaine entière et qui portaient le nom de : " Cours avancés de Pèlerins " quand il s'agissait du niveau diocésain, et " Cours de Chefs de Pèlerins " quand ils se donnaient au niveau paroissial. Leur objectif était d'intéresser le plus de jeunes possibles pour s'inscrire au pèlerinage de Compostelle, et les mots d'ordre suivants devinrent vite célèbres partout en Espagne : " Pour Santiago, des saints! ", " Marcher en pèlerinage n'est rien, marcher avec foi, c'est ouvrir un chemin! ".
Lorsque se donna le premier " Cours avancés de Pèlerins ", à Majorque, je ne voulus pas y aller, même si on m'avait invité. Car je n'appartenais pas encore à l'Action Catholique; la manière d'être et d'agir de ses membres ne m'y encourageait pas. Mais l'année suivante, lorsqu'on donna le deuxième cours, le président diocésain insista tellement que finalement j'y suis allé. J'ai trouvé en ces jeunes un style et un élan joyeux qui parvint à me convaincre, de telle sorte que lorsqu'on voulut préparer le troisième cours de ce genre, on me demanda d'y collaborer. C'est alors que je profitai de l'occasion pour ajouter à leur programmation toute la réflexion déjà faite sur " l'étude du milieu ", et autres points qui étaient évidemment dans une optique très différente de la leur. Je ne pouvais pas, en effet, me soustraire à l'idée préoccupante que nous avions tous : Après le pèlerinage de Santiago, que se passera-t-il'
Nous avions pris de ces premiers " Cursillos " l'idée que pour être entendus des jeunes et pour que le message que nous avions à leur transmettre les frappe profondément, il fallait leur transmettre nos idées et non celles de ces premières expériences qui, comme je le disais plus haut, avaient une toute autre finalité (à savoir, former des pèlerins). Nous en sommes donc arrivés à la conclusion qu'il fallait le faire, non pas à base de conférences et d'explications théoriques, mais à base de partage amical avec ceux que nous voulions imprégner de notre enthousiasme, les amener en un lieu retiré et former des petits groupes pour mieux faciliter le dialogue entre tous. Nous avons utilisé quelques uns de leurs schémas, au début, car nous ne pouvions pas tout inventer. Nous devions nous accommoder à leur rythme en même temps que nous songions à l'accélérer.
La première constatation que nous avons faite est que ces premiers " Cursillos " duraient beaucoup trop; une semaine, cela nuisait à la catégorie des gens que nous voulions atteindre par notre message. Nous pensions que trois jours pleins étaient l'idéal et qu'en incluant dans ces trois jours, un samedi et un dimanche, on simplifiait passablement la chose pour un tas de personnes. Mais ce qui nous préoccupait davantage c'était d'étudier à fond les idées que devaient véhiculer le message et la manière de le présenter de façon agile et intègre, dense et attrayante, précise et dynamique à plus de gens possibles.
En y réfléchissant et en priant, en étudiant et en priant de nouveau, peu à peu pris forme, naquit et se développa ce qui allait être appelé plus tard les " Cursillos de Cristiandad " qui au début ne portait que le nom de " Cursillos " sans autre étiquette. Ce sont d'autres personnes, et pas nous, qui voulurent les distinguer d'autres cours qui se donnaient à cette époque : Cursillos pour maîtres d'école, pour sergents, ou pour n'importe qui, alors on les appela d'abord " Cursillos de Conquista ", nom qui à nous, les fondateurs, ne nous plaisaient pas du tout.
À cette époque, je faisais partie alors de l'Action Catholique mais je n'aimais pas la routine apathique et l'air pieux que nous devions donner à nos activités pour qu'elles ne détonnent pas! Notre groupe allait à un rythme et dans une direction différente, ayant toujours devant les yeux, avant tout, l'intention de rejoindre les distants. Pour éviter des tensions avec l'AC, et non contre elle, mais à côté d'elle, dans l'intention de l'améliorer, nous avons compris que finalement nous devions prendre nos distances afin de voir les choses dans une nouvelle perspective.
Nous lisions passionnément les auteurs chrétiens qui étaient alors au sommet de la popularité : les deux Rahner, Hugo et Carl, Romani Guardini, le cardinal Mercier, Jacques Leclercq, le P. Plus, etc. Nous nous réunissions chez-moi, pour étudier, le plus fidèlement et profondément possible la doctrine que nous voulions communiquer et les circonstances concrètes dans lesquelles se trouvaient les candidats auxquels nous voulions transmettre le message de la façon la plus personnalisée possible. Nous avons commencé, en groupe, par l'étude du milieu et j'apportai alors ce que j'avais déjà élaboré à ce sujet. Pour pouvoir l'étudier avec plus de précision, nous avons dans notre imagination regroupés les jeunes dans des " constellations ", en commençant par les chrétiens cohérents, authentiques, pratiquants, qui pensent et agissent en catholiques, jusqu'aux athées intellectuels ou théoriques. Et nous avons rédigé des fiches personnelles, imaginaires évidemment, mais basées sur la réalité. Par exemple cette fiche du jeune soldat : " Il obéit devant son chef parce qu'il ne peut faire autrement, mais par derrière, il murmure parce qu'il n'en peut plus ".
Quelques anecdotes du temps pourraient faire la lumière sur nos intentions. Nous disions que le nouveau Cursillo devait être hétérogène en réunissant dans son aventure toutes sortes de personnes : les proches et les distants, les riches et les pauvres, les intelligents et les ignorants, les professionnels et les ouvriers, les étudiants et les professeurs, etc. Notre style personnel de laïcs et la force renouvelée du message évangélique, toujours neuf, qui nous poussait, entra en conflit avec la mentalité fermée et même ankylosée d'une bonne partie de la société majorquine de ce temps-là, y compris celle d'un secteur conservateur du clergé. Ce fut l'origine des tensions constantes, qui perdurent encore de façon latente ou larvée, entre les prêtres et le Cursillo, dans le diocèse qui les a vu naître. À la base du conflit, il y a soit un refus d'admettre ou de comprendre quel est le rôle exact du laïc dans la mission de l'Église, soit un refus de valoriser l'autonomie de l'apôtre laïc vis-à-vis de la hiérarchie. Et ce qui est pire, on confond l'obéissance d'un militant de Mouvement avec celle d'un prêtre, d'un religieux ou d'une moniale! Logiquement, devant l'exigence chimérique d'une soumission et obéissance sans discernement, la réaction ne pouvait être autre que celle d'une obéissance controlée, ou si vous préférez, une obéissance juste nécessaire pour ne pas rompre avec la communion ecclésiale.
Le message que nous entendions et que nous entendons encore communiquer, se résume dans les quelques idées qui nous ont préoccupés au commencement et qui continuent de nous préoccuper. Je les synthétise de la façon suivante :
"Quelques scientifiques à l'aide de la science et de l'appui économique ont parcouru la distance qu'il y a de la peau de l'homme à la lune. Nous, nous voulons réaliser un exploit plus grand encore : partir de la peau de l'homme pour aller à l'intérieur de lui, pour mieux connaître le chemin vers lui-même et le chemin vers les autres, pour prendre conscience de la merveille de notre vie, pour mieux savoir partager avec autrui l'aventure d'être une personne ".
En somme, l'arbre du MC plonge ses racines dans les inquiétudes décrites plus haut et son tronc est formé par la convergence des aspirations rassemblées par l'unité du message.
Le groupe initial, alors seulement composé de jeunes laïcs, à cause des circonstances expliquées antérieurement, s'est fortement réjoui lorsque lui parvint la nouvelle que Rome avait nommé Mgr. Juan Hervas évêque coadjuteur de Majorque, avec droit de succession. Et avec eux, se réjouirent aussi les quelques prêtres qui leur avaient fait confiance, les avaient compris et aidés pour mettre sur pied les Cursillos.
Bien qu'à cette époque, le Mouvement des Cursillos était déjà conçu et expérimenté depuis quelques années, il reçut par cette nomination de Mgr Hervas, comme coadjuteur en 1946 et comme évêque en 1947, un appui et un élan inouïs. Le groupe de prêtres et de laïcs, se sentant accueilli et écouté par l'évêque, a vécu avec lui et près de lui, des journées historiques de ferveur. C'est alors que le Mouvement, grâce à son appui et à sa collaboration enthousiaste, a pu accéder à la reconnaissance officielle de l'Église. Jusqu'à ce jour, personne n'avait pensé à numéroter les Cursillos que nous donnions. Ce n'est qu'à partir du moment où ils devinrent officiels que nous avons commencé à les numéroter.
C'est à ce moment, et seulement à ce moment-là, que quelques prêtres et religieux s'unirent - de façon plus formelle disons - au groupe initial de jeunes, à la demande expresse de ceux-ci à l'évêque. Et Mgr Hervas leur donna alors l'abbé Sebastian Gaya comme aumônier et quelque temps après, à son retour de Rome, l'abbé Juan Capo comme vice-aumônier.
Je crois que le charisme du MC a été suffisamment clarifié par cet exposé, car j'ai démontré qu'il réalise les quatre éléments désignés par les théologiens pour qu'un charisme en porte le nom.
L'arbre des Cursillos peut seulement croître et se développer s'il est fidèle à son identité, s'il s'appuie sur ses racines et ne se sépare pas de son tronc. Les greffes occasionnelles, qui sont parfois le fruit d'un protagonisme marqué, vont presque toujours compliquer les choses.
Il est évident qu'il faut avoir une amplitude de perspective suffisante pour rejoindre le sens intégral des idées et des attitudes embryonnaires que constitue le monde fascinant et fécond de ses origines. Il est évident également que les organismes créés pour sauvegarder l'identité du MC sont appropriés pour faire un discernement dans chaque cas, mais ils doivent se rappeler que discerner ce n'est pas couper les racines des Cursillos pour pouvoir les cléricaliser et les orienter vers le meilleur confort des " bons " ou les mettre au service du secteur intra-ecclésial qui est celui qui les intéresse le plus. Mais les Cursillos doivent être orientés vers le monde et, préférablement, bien que non exclusivement, vers les distants.
Le MC ne doit pas faire le caméléon, en changeant non seulement de peau mais de style et de contenu, sous prétexte d'adaptation à la dernière mode, oubliant que celui qui veut toujours être à la dernière mode risque de rester dans l'avant-dernière. Il ne faut pas dénaturaliser les Cursillos sous le faux prétexte de les ajuster aux " signes des temps ", mais il faut plutôt analyser, étudier et approfondir son charisme de fondation " à la lumière des signes des temps ". Ce qui est bien différent de cette perpétuelle volonté de vouloir insérer à outrance dans le MC, jour après jour, indistinctement, tout ce que dit le saint-père dans ses nombreux discours, et toutes les décisions qui sont prises dans les réunions plus ou moins importantes qui se tiennent à travers le monde. En voici des exemples :
Les actualisations du Mouvement - pourvu qu'elles ne soient pas le fruit d'interprétations personnelles ou même de secrétariats nationaux - seront efficaces si elles ne s'éloignent pas de la simplicité du " Notre Père " et de la fraîcheur éternelle des " Béatitudes ". Voilà notre façon de comprendre la fidélité au charisme de fondation tout en demeurant toujours fidèles aux signes des temps.
Eduardo Bonnin