par Roger Gauthier, o.m.i.
Plusieurs comportements de Jésus avaient irrité les pharisiens, spécialement quand il traitait avec respect et bonté, et même en les privilégiant parfois, ceux qu’ils jugeaient comme d’horribles pécheurs. Ils prenaient toutes les occasions possibles pour attaquer Jésus en public. Ils maudissaient comme des impurs tous les gens qui s’attachaient à lui et même ceux de leur groupe qui hésitaient à le condamner. Car certains pharisiens avaient du respect pour sa doctrine et croyaient que ses guérisons le confirmaient peut-être comme Envoyé de Dieu. Parmi ces derniers, quelques-uns n’osaient pas s’afficher : ils risquaient d’être expulsés du groupe. C’était le cas de Nicodème.
Il vint trouver Jésus en cachette, de nuit, afin de lui poser certaines questions qui l’intriguaient. Il commença par dire à Jésus son admiration : « Rabbi, nous savons que tu es un maître qui vient de la part de Dieu, car personne ne peut opérer les signes que tu fais si Dieu n’est pas avec lui… » Tout de suite, Jésus l’arrête. Il refuse de réduire cette rencontre à une discussion purement théorique basée sur l’interprétation de la Loi monopolisée par les Pharisiens. Il lui dit : « Sois bien assuré que tu ne comprendras jamais rien à l’action de Dieu en moi si tu ne sors pas de ta logique humaine et de l’adoration de la Loi. Pour saisir vraiment ce que je représente, tu devras entrer dans une vision complètement nouvelle de la Vie. » Le pauvre Nicodème se sentit dépassé et dit : « Je ne vois pas comment un homme, déjà vieux comme moi, pourrait recommencer sa vie autrement; ça me paraîtrait aussi difficile que de retourner dans le sein de ma mère et de naître encore une fois. » Jésus lui répondit : « Tu as parfaitement raison. Si l’Esprit de mon Père ne te transforme pas par son intervention gratuite, il n’y a rien à faire. Tu sais, comme moi, que la logique humaine sera toujours logique humaine; la logique de l’Esprit ne peut t’être donnée que par l’Esprit. C’est pour ça que je t’ai parlé de renaître à une autre manière de penser et de vivre. Comparée à notre regard humain, la logique de l’Esprit ressemble au vent qui souffle où il veut; tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Avec l’Esprit, tu devines quelque chose derrière les apparences, mais l’essentiel demeure mystérieux.
Nicodème était séduit par ce mystère que Jésus appelait le Royaume de Dieu et il désirait vraiment l’accueillir dans sa vie. Il oublia toutes ses connaissances de bon pharisien et demanda naïvement à Jésus de lui expliquer quoi faire pour renaître de l’Esprit. Jésus détendit l’atmosphère en le taquinant : « Comment! Tu es maître en Israël et tu ne connais pas ces choses! » Et plus sérieusement, il enchaîna : « Je puis t’assurer que je connais bien ce dont je parle et que j’en ai fait l’expérience personnelle. Mais je sais qu’il est difficile de me croire. Pourtant je t’ai parlé uniquement de la partie la plus facile à comprendre; ce sera beaucoup plus difficile à mesure que j’annoncerai le dessein du Père comme il se manifestera. Je suis le seul à le connaître à cause de mon expérience de la Vie avec le Père de qui je viens. Tu te rappelles l’histoire du serpent élevé par Moïse dans le désert pour guérir ceux qu’un serpent avait empoisonné? Eh bien, moi aussi, un jour, je serai offert à la vue de tous pour libérer du mal ceux qui désireront s’appuyer sur moi pour entrer dans la Vie nouvelle. Ce jour-là, il sera bien difficile de continuer de croire en moi ».
En me racontant cette rencontre avec Jésus, Nicodème devint subitement très ému. Il me dit avoir été saisi de l’intérieur au moment où Jésus parut oublier sa présence et se mit à méditer à haute voix: « Mon Père aime tellement ce monde que nous avons créé ensemble! À moi, son Fils unique, il a proposé de venir vivre sur terre comme un vrai homme afin d’acheminer jusqu’à la réussite définitive de leur vie les personnes qui voudront me faire confiance ». Puis après un long silence, il continua une sorte de réflexion sur sa mission : « Mon Père ne m’a pas donné mission de partager les bons et les méchants, mais il voudrait que je sauve tous les gens qui désirent trouver la Vérité et la Vie. Je ne condamne jamais les erreurs d’une personne qui me fait confiance. Et si quelqu’un ne se fie pas à moi, je n’ai pas à le juger; c’est lui-même qui refuse l’offre de réussir sa vie comme mon Père le lui présente par moi. Cet homme détermine lui-même le verdict en choisissant d’évaluer ses comportements selon ses propres normes et de les justifier par des équivoques plutôt que de compter sur la Vérité que mon Père lui envoie ». Enfin, il termina sa réflexion en évoquant les personnes qui ne voudront pas de lui et celles qui l’accueilleront: « Quand quelqu’un approuve ses propres comportements mauvais, il déteste toutes explications qui pourraient le condamner; il refuse de reconnaître ses erreurs; il choisit lui-même de rater sa vie : je n’ai pas à le condamner, il le fait lui-même. Au contraire, si quelqu’un s’applique à vivre en harmonie avec les projets de mon Père, il cherche toujours à voir clair dans sa vie; il aime soumettre ses comportements à la lumière de la Vérité et il est heureux de les désapprouver lui-même. Je ne puis que l’aimer ».
Nicodème m’a dit qu’à ce moment, il n’avait plus de questions. Il y eut un long silence rempli d’une grande paix. Jésus lui redevint présent; Nicodème le remercia de son accueil et partit avec, en son cœur, la certitude d’avoir été aimé par Jésus. La nuit n’était plus la nuit. Il n’avait plus peur des attaques et des moqueries de ses compagnons. Au jour du Golgotha, il fut capable d’accompagner la mère de Jésus et ses amis venus mettre au tombeau le corps crucifié de Jésus.
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