"Comme Lui, nouer le tablier..." *

Lucie Bois
Communauté Notre-Dame, Granby

Je vais commencer par une réflexion qui est aussi mon mode de vie.

Pour me situer, je suis divorcée depuis 33 ans. J'ai 3 enfants: Martin, Marie-France et Valérie; je suis la mamie de Thomas, Annabel, Zoé et Liam. J'ai un handicap visuel, je suis mal-voyante. En 1987, la rétine de mon oeil droit a été perforée. En 1996 une inflammation du nerf optique m'a laissé des spasmes à l'oeil droit que je suis incapable de contôler. Puis, en 1999 la rétine de l'oeil gauche a aussi été perforée et, dans la même journée, je perdais mon travail et mon permis de conduire.s

L'évangile d'aujourd'hui me dit que le SERVICE fait la grandeur du chrétien. Le pape, le premier chrétien du monde, signe ses lettres: "SERVITEUR des serviteurs de Dieu." Il n'y a rien d'humiliant à servir, au contraire, c'est la noblesse du chrétien car "le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi mais pour SERVIR". Toute la vie de Jésus est un SERVICE et cela jusqu'au soir du jeudi saint.

Voici des petits moments de mon parcours de vie. Je suis née dans un petit village près de la frontière du Maine. Mes parents avaient une ferme, aussi, très jeune j'ai appris la valeur du travail, de l'entraide. Mes frères, mes soeurs et moi avons grandi dans l'amour du prochain et dans la foi en Dieu. Très vite mes parents se sont aperçus que ma vision n'était pas normale et des visites chez un spécialiste confirment que j'ai des malformations aux yeux et une myopie maligne. Mon enfance n'a pas été facile; à l'école on se moquait de moi car j'avais des grosses lunettes avec des ronds dans le milieu. J'avais beaucoup de peine, mes parents me disaient: tu as de la difficulté à voir mais tu as d'autres sens et c'est à toi de bien t'en servir afin de pouvoir te débrouiller et de vivre ta vie. Les années ont passé, j'ai cheminé dans la Foi et ce qui était important pour moi c'était de venir en aide et de protéger les personnes qui subissaient du rejet, du mépris ou de l'exclusion, soit à cause de leur situation sociale ou d'un handicap.

L'évangile d'aujourd'hui me demande de servir ceux qui vivent près de moi.

L'évangile ne se traduit pas par des mots, l'évangile s'expérimente, l'évangile se vit. Je me suis impliquée pendant des années auprès des personnes âgées, des enfants malades, j'ai correspondu et visité des prisonniers, car, il faut bien le dire, ils ne sont pas tous nés délinquants. Depuis 13 ans, je suis membre du C.A. de la maison d'itinérance pour hommes M.H.P.D. LE PASSANT. Je m'implique dans le groupe l'O.E.I.L. pour les handicapés visuels et aidants naturels. J'ai aussi ma "gang": ce sont des personnes qui, depuis quelques années, m'appellent régulièrement pour se confier et je les écoute sans leur donner des conseils car ce qu'ils veulent surtout c'est une oreille attentive.

Ma fille Valérie, âgée maintenant de 35 ans, est née avec des lésions au cerveau et elle a un handicap en santé mentale; il y a un an et demi, elle a été traumatisée par son ex-copain, il l'a fait monter de force dans sa voiture, l'a amenée dans une grange, l'a attachée, l'a battue et violée. Ensuite il l'a jetée dans la rue comme on jette un sac de poubelle. Puis tout s'est enchaîné: la plainte pour agression sexuelle et physique, les rencontres avec l'enquêteur, pour finalement laisser tomber la plainte pour agression car elle était trop fragile pour aller témoigner en cour. Donc j'ai demandé le code 810 et cela a pris trois mois et quatre visites à la cour pour obtenir un interdit de contact. Ma fille n'était plus la même, elle pleurait, elle était de plus en plus dans son délire. De février à août 2014, des séjours fréquents en psychiatrie ...pour finalement ne plus revenir à la maison car elle était agressive et dangereuse pour elle-même. En octobre, il y a tout juste un an, je suis allée la reconduire à l'I.U.S.M. de Montréal. C'est un programme intensif pour troubles psychotiques qui doit durer encore un an. Cette séparation a été très douloureuse pour moi mais ce qui m'a aidée et m'aide encore c'est la présence de Michel car, quand je m'occupe de lui, je n'ai pas le temps pour pleurer et je sais que ma fille est en sécurité et très bien encadrée.

Il y aura bientôt cinq ans que Michel a fait son A.V.C. L'hôpital voulait l'envoyer à Villa Bonheur [n.d.l.r.: centre d'hébergement pour personnes non autonomes] pour le reste de sa vie; j'ai dit non je l'amène chez moi. On m'a demandé si je réalisais toute l'ampleur de ma démarche et on m'a prévenue que dans six mois je serais complètement épuisée. Michel portait des couches, se réveillait plusieurs fois la nuit, il ne pouvait ni se laver ni s'habiller, il était incapable de s'asseoir sur la toilette, donc c'était la chaise d'aisance. J'ai dû apprendre à asseoir une personne de 160 livres dans un fauteuil roulant et le coucher sans me faire mal et sans lui faire mal. J'ai répondu à l'équipe que je ne savais pas dans quoi je m'embarquais mais je devais essayer, car j'ai un atout en main: j'ai confiance et j'ai la Foi. Après la réunion, je suis allé retrouver Michel à sa chambre et je lui ait dit: tu n'iras pas à Villa Bonheur, mais tu vas aller à la résidence Dumont pour environ trois semaines, le temps que Gilles fasse la rampe d'accès et agrandisse la porte de ta nouvelle chambre et de la salle de bain. Je ne l'ai pas regretté et si c'était à refaire, je referais la même chose.

Aussi à cette époque mon fils était séparé et il venait chez moi avec ses deux enfants chaque fin de semaine car il était militaire à Québec et ses enfants habitent à St-Jean. Michel était mon locataire au deuxième étage. Donc le système-D: j'ai descendu Michel en bas et j'ai monté Martin et ses enfants en haut.

J'ai une amie depuis 16 ans et à cause de certains différents l'amitié s'était refroidie et quand elle est allée en résidence près des Galeries, elle a recommencé à m'appeler. On s'est revues quelques fois mais c'était difficile pour moi car je devais prendre un taxi. Depuis le mois de juillet elle est au Riverain, plus proche de chez moi. Le lundi et le vendredi, Michel va au Centre de jour, aussi je vais voir Lise. Quand je vais lui rendre visite, elle me sourit et si elle voit qu'on m'a remis la clé pour ouvrir son armoire, elle passe sa main sur ma joue et me dit: tu es fine, tu es gentille. Ensuite elle s'asseoit pour que je lui mette ses souliers de marche et son manteau. L'étincelle que je vois dans ses yeux en un instant me transforme et une fois de plus je réalise que c'est dans le visage des malades, des démunis et des personnes sans défense que JE VOIS LE VISAGE DU SEIGNEUR.

Mon aventure quotidienne, ma vie, elle est belle car au travers des épreuves et du chagrin de mes souffrances, il y a de la joie, il y a de l'amour. Quand j'aI une détresse ou un problème, je mets en pratique la règle des 4 R: Reculer, Réfléchir, Revenir, Recommencer. Et si je regarde avec les yeux du coeur, il ne se passe pas un seul jour sans qu'il y ait une délicate attention de Dieu. Je dis merci à la vie car je suis privilégiée; j'ai autour de moi des gens qui sont mes yeux. Je dis merci à la vie pour la Foi qui me guide, et pour les amis et compagnons de route dans l'amour du Seigneur.

J'ai choisi un chant qui m'interpelle beaucoup car il met un baume sur les souffrances des personnes qui ont mal à l'âme et qui n'osent pas parler de peur de ne pas être écoutées et tous ceux qui ont mal dans leur corps. C'est un chant de Richard Desjardins interprété par Mélissa Bédard: "Le coeur est un oiseau."

Merci de m'avoir écoutée. De colores!

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* Extrait du chant "Comme Lui" par Robert Lebel.
Source des images: Choisir de servir: Idées Caté; aidant naturel: Commission canadienne des droits de la personne; 2 Cor 9-7: Share and Discover.

Paroles de la chanson Le Coeur Est Un Oiseau de Richard Desjardins